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Quand l’HAS se prend pour un QHS

Dernières recommandations de l’HAS en matière d’accompagnement à la sexualité des personnes en situation de handicap

Par Denis VAGINAY

Denis VAGINAY est Docteur en psychologie, il a travaillé dans de nombreuses institutions, également en cabinet et comme formateur.

Article référencé comme suit :

Vaginay, D. (2025) « Quand l’HAS se prend pour un QHS. Dernières recommandations de l’HAS en matière d’accompagnement à la sexualité des personnes en situation de handicap » in Ethique. La vie en question, juin 2025.

 

NB : Le texte est accessible en version PDF au bas du document.

 

 

Chargée de promouvoir « les bonnes pratiques et le bon usage des soins auprès des usagers », il arrive à la Haute Autorité de Santé (HAS) de prendre son rôle tellement au sérieux qu’elle édicte des normes relevant plutôt d’un Quartier de Haute Sécurité (QHS) ou de Haute Surveillance que d’un service d’accompagnement bienveillant. Démarche contre-productive, voire néfaste.

Cette dérive qui n’a rien d’anodin atteint son paroxysme dans ses dernières recommandations, publiées en janvier 2025, intitulées Accompagner la vie intime, affective et sexuelle des personnes en ESSMS (Etablissements et Services Sociaux et Médicaux-Sociaux).

La politique préconisée dans ce texte rejoint celle de nombreux autres textes cadres (appels d’offres restrictifs, recommandations de plus en plus nombreuses, budgets regroupés, réforme SERAPHIN-PH, etc.) et participe à une restriction systématique des libertés et à l’appauvrissement dramatique des initiatives. Elle nous concerne tous car nous sommes tous des usagers ; d’autant plus quand cette instance officielle se mêle de la sexualité et, partant, de ce qui est le plus intime en chacun. Des auteurs de premier plan, négligés dans ces écrits officiels, alertent pourtant contre cette restriction dramatique de liberté. Roland Gori en fait partie : « Nous baignons dans un océan de normes dans lequel notre subjectivité, notre créativité pourraient bien être naufragées » (1).

Les remarques et les commentaires qui vont suivre concernent essentiellement le document des recommandations. Celui-ci découle d’un autre texte de 100 pages, élaboré par les mêmes rédacteurs, qui se présente comme un argumentaire, qui porte le même titre et qui a été publié à la même date que le premier. Cet argumentaire est plutôt bien fait. Il explore la littérature (du moins une partie) et dresse un paysage historicisé assez évocateur. Il rappelle les droits (ce qui est toujours utile : tout serait si différent s’ils étaient respectés), et présente les besoins des personnes concernées et leurs attentes supposées ou repérées. Il insiste sur la nécessité d’un accompagnement adapté, censé combler les manques actuels, et prône la formation des professionnels qu’il considère indigente. Bien que plus prudent que le texte des recommandations, il laisse, lui aussi, sciemment de côté des ressources théoriques qui auraient permis de nuancer les constats avancés et de proposer d’autres pistes de travail. Par exemple, ce texte argumentaire insiste 80 fois sur l’importance du consentement mais ne cite que 2 fois le non-consentement alors que, nous le verrons plus loin, le consentement ne peut s’entendre que s’il résulte de la possibilité de dire non, de ne pas consentir. Ou encore, il ne s’intéresse pas à l’existence déjà ancienne de formations chez les professionnels et encore moins à leur inefficacité répétée. Oui, les professionnels réclament des formations, reçoivent celles qui sont préconisées par l’HAS, mais n’arrivent pas à s’en servir parce que la plupart ne répondent pas à leur attente ni aux besoins des usagers. Ce qui a été proposé aux institutions jusqu’à maintenant ne « marche » pas ou « marche » mal. Pourquoi ?

 

La philosophie des recommandations

Malgré les précautions prises par les rédacteurs qui rappellent la nature des recommandations, incitatives par définition, ces dernières sont systématiquement utilisées comme fil conducteur par les personnes chargées d’évaluer les établissements médico-sociaux. Elles prennent ainsi valeur de cadre intangible et s’imposent comme de véritables lois à respecter et à appliquer. Elles font d’autant plus loi qu’elles ne sont pas destinées à être critiquées, leurs rédacteurs, disparus derrière leur texte, n'étant jamais des interlocuteurs.

Comme elles ne peuvent pas être ignorées par les institutions, elles mobilisent les salariés qui doivent les étudier et les intégrer le mieux possible dans le fonctionnement institutionnel, y compris s’ils sont en désaccord avec leur orientation. Cette mobilisation est une perte conséquente de temps et de moyens.

Vu l’importance que prennent ces recommandations, nous pourrions nous attendre à ce qu’elles répondent aux plus grandes exigences de prudence et d’ouverture. Or, il n’en est rien : leur propos est consensuel au possible. Il puise à l’air du temps, au bon sens primaire, n’invite aucunement au débat. Il ne s’appuie que sur des références complices, occultant toutes celles qui viendraient contredire ou contrarier ses orientations, quelles que soient leur importance ou la notoriété de leurs autrices et auteurs.

 

Concepts privilégiés des recommandations au regard des statistiques

Une première approche « statistique » de ce texte de 86 pages, annexes comprises, permet d’en saisir la philosophie. Notons que les principaux concepts utilisés ne sont pas vraiment définis (il faut pour cela se reporter au texte argumentaire) : leur sens devrait être évident au lecteur, ce qui instaure avec lui une espèce de complicité abrasive de toute critique.

Les rédacteurs revendiquent une approche positive de la vie intime, affective et sexuelle. Cette notion, citée à 19 reprises, reste vague. Si nous n’imaginons pas lui opposer une approche négative, nous pouvons juste comprendre que cette positivité impliquerait une pratique sexuelle forcément joyeuse et épanouissante, toute autre option étant considérée comme malvenue et néfaste. D’emblée, nous saisissons qu’il convient de réussir sa vie sexuelle, selon des critères généralisables, avouables et justifiables. Toute trajectoire personnelle qui s’éloignerait de cette vision idyllique est écartée. La sexualité dont on parle ici doit être sûre, exempte de toute douleur, de toute souffrance.

L’approche privilégiée est celle des droits, cités 179 fois. Si le droit à l’intimité et à la liberté, au respect de la vie privée, d’aller et venir est bien défendu, celui qui prime est le droit à la protection. S’ensuivent les rappels de ce qui nécessite cette protection : les risques, cités 30 fois, les dangers, 8 fois, les violences, 60 fois dont la moitié sont sexistes et sexuelles, la vulnérabilité, évoquée 21 fois ou l’inceste, mentionné 11 fois.

La revendication du consentement, que personne n’a pris le soin de définir, est une obsession. Il apparaît à 80 reprises, associé, comme une faible concession aux détracteurs possibles, par 9 fois au non-consentement, mais sans aucune explication.

Les mineurs, évoqués 68 fois, semblent l’objet d’une vigilance accrue. En revanche, les majeurs se distinguent mal d’eux, les uns et les autres restant difficilement repérables, si ce n’est par leur âge. Ils sont différenciés par ce que l’institution leur propose : une éducation sexuelle informative aux premiers, une sensibilisation aux seconds. Curieux choix que celui de la sensibilisation dont on n’ose imaginer la forme et encore moins la durée.

Si le plaisir est convié à 10 reprises, la jouissance ne l’est pas. Le désir est presque systématiquement associé au besoin avec lequel il est confondu ; ce dernier étant cité 32 fois. Il est pourtant nécessaire de bien différencier ces deux concepts. Le besoin disparaît quand une réponse appropriée lui est apportée. L’absence de réponse satisfaisante laisse place à la frustration. Le besoin est primaire quand il est vital, comme la faim. En ce sens, la sexualité n’est pas un besoin primaire. Le désir meut le sujet auquel il est associé. Voué à ne jamais être totalement satisfait, son corollaire est le manque que l’on peut aussi qualifier de castration. Le sujet désirant est lié à tout autre, ainsi le désir est toujours affaire d’altérité, d’interdépendance. Il n’y a pas de sexualité humaine sans désir. Bien sûr, il y a des manifestations horribles de la sexualité dans tous les abus ; ce qui n’exclut pas la présence du désir, dominé alors par la pulsion de mort, que mobilise l’agresseur en détruisant sa victime, en la faisant souffrir, en la niant ou la tuant. L'éducation est là pour réduire ces risques de transgression, pas la répression ni la seule menace. L’existence de ces écarts déplorables et inacceptables ne rend pas la pratique sexuelle particulièrement dangereuse, sauf quand elle est mise en œuvre par des gens dangereux.

La notion de fantasme n’apparaît que 2 fois, sans être commentée, et uniquement dans la définition de la sexualité.

En résumé, dans ces recommandations, la sexualité et sa pratique apparaissent essentiellement dangereuses pour toutes les personnes qu’elles concernent et accessibles pour elles seulement au prix d’un accompagnement de proximité attentif et précautionneux.

 

D’où vient le danger de la sexualité ?

Il est nécessaire de comprendre l’origine de cette dangerosité, réelle ou supposée, qui conditionne l’ensemble du texte, de sa dynamique à son contenu.

Il convient d’abord pour cela de définir les populations reçues par les différentes structures du médico-social, très variées tant par leur âge (de la naissance à la mort) que par leurs caractéristiques (placements, tout type de handicap, vieillissement, pathologie mentale, etc.). Force est de constater qu’elles n’ont qu’un point commun : celui d’être sous sujétion. Au sens propre de l’expression. Les personnes qui constituent ces populations, pour des raisons très différentes, se trouvent ou se retrouvent soumises à une autorité souveraine. Autorité de fait exercée par ceux qui écrivent les recommandations, qui font les lois ou qui occupent une place dans l’accompagnement. C’est d’ailleurs cette autorité, dont le poids n’est pas toujours assumé par les accompagnateurs, qui prend parfois (souvent) figure de responsabilité exagérément développée.

Rappelons avec Bernard Lahire qu’à partir du moment où il y a du social, il y a de la structure, de la hiérarchie et du pouvoir qui s’exerce avec son lot de dominations (2). La culture, par essence, propose une répartition plus ou moins justifiée et justifiable des dominations, mais elle reste tiraillée par des luttes orchestrées par les plus avides, toujours soucieux d’imposer leur position dominante (droit divin, droit du sang, droit du plus fort, etc.). Il est donc inévitable que les rapports entre les populations d’accompagnants et celles d’accompagnées soient régis par l’autorité des uns et la soumission des autres, quelles que puissent être les bonnes intentions de chacun.

C’est parce qu’elles sont sous sujétion, donc sous notre responsabilité, que les populations d’usagers sont intuitivement considérées globalement comme fragiles et maintenues en position basse dans une relation forcément dissymétrique.

Ensuite, il faut rappeler que l’accès à la sexualité et à sa pratique se construit au fil des premières années de vie, changeant dans la maturité et la phase d’expérimentation plus ou moins active que permet l’adolescence. Si les recommandations de l’HAS suggèrent de tenir compte des différences (non explicitées) de populations, elles ne font pas référence à ce changement et n’évoquent pas les notions aussi importantes que celles de sexualité infantile, autocentrée et égoïste pendant laquelle s’élaborent les fantasmes, et sexualité assumée dans la rencontre et le partage responsable qui caractérisent (ou devraient caractériser) la sexualité des adultes. Si ces deux expressions de la sexualité présentent une continuité cohérente, elles ne peuvent se confondre. L’interdit de l’inceste rappelle cela. La loi aussi qui ne reconnaît pas la validité d’un consentement avant 15 ans. Cet âge, fixé de manière un peu arbitraire, correspond à la « majorité sexuelle » pour le grand public, même si cette notion n’existe pas dans le droit. En tout cas, tout acte de nature sexuelle perpétré par un adulte sur une personne de moins de 15 ans est automatiquement considéré comme un viol, un acte violent et destructeur dont tout enfant et tout jeune doivent être protégés.

De fait, la sexualité adulte est dangereuse pour l’enfant et toute incursion prématurée de celle-ci dans sa vie aura des conséquences préjudiciables pour lui. Elle lui est donc interdite. Or, rien n’indique objectivement à quel moment l’enfant grandi sera prêt à accéder à la sexualité adulte. Lui seul peut le déterminer, au risque de se tromper, en fonction de ce qu’il pense et ressent. En fonction aussi des expériences qu’il a pu faire au préalable : n’oublions pas que, statistiquement et en moyenne, le premier baiser amoureux précède de trois ans le premier acte sexuel. La réponse faite par les parents ou les éducateurs paisibles et bien intentionnés à l’enfant pressé : « Tu verras quand tu seras grand » tient compte de ce nécessaire murissement ; elle est donc plutôt adaptée.

En tout cas, pour accéder à sa première expérience sexuelle partagée, tout sujet doit transgresser l’interdit qui lui était auparavant opposé. Il ne s’autorise que de lui-même et, ce faisant, défit l’autorité. De plus, quelles que soient les informations reçues, cette première expérience, parce qu’elle est vraie, ne correspond jamais totalement à la façon dont elle avait été imaginée et anticipée. Elle doit laisser place à l’improvisation, à l’inventivité, à l’adaptation.

L’accès à la sexualité adulte ne peut être que transgressif et subversif. Il n’est possible qu’aux personnes capables de repérer, de construire et d’utiliser les conditions d’une intimité. Intimité et pratique sexuelle sont interdépendantes.

Ce processus de maturation qui se résout par la transgression et la subversion a été vécu par toutes les personnes qui occupent la position d’autorité envers les personnes sous sujétion. Ce qu’elles reconnaissent volontiers dès lors qu’elles se livrent à la plus légère introspection. Ce qui est étrange, c’est qu’elles n’arrivent pas à considérer que ce processus normal et habituel concerne aussi les personnes qu’elles accompagnent. Comme si, pour elles, tenir un rôle autoritaire empêchait toute identification et même toute empathie. La personne sous sujétion, sous leur autorité, semble vouée à être l’adolescent éternel, trop fragile pour se confronter à l’interdit, pour le transgresser et le subvertir. D’où la nécessité de la surveiller et de la protéger… indéfiniment. Même contre son accord, et au-delà de toute pertinence. D’où la possibilité de lui proposer, indéfiniment aussi, une éducation sexuelle, une sensibilisation ou des groupes de paroles comme seule réponse. Ce qui permet de repousser (ou de limiter), indéfiniment, tout accès à toute pratique sexuelle.

Que les personnes accompagnées soient sous sujétion, dans une relation de dépendance supérieure à la moyenne, les place dans une situation de vulnérabilité implicite. L’idée qu’elles seraient en danger permanent, notamment face à la pratique sexuelle, est le signe de leur infantilisation. De leur association systématisée au domaine de la sexualité infantile.

 

Comment juger de la « licité » d’une relation sexuelle sans tomber dans l’intrusion ?

Les accompagnateurs (ou les rédacteurs des recommandations) se retrouvent donc face à une situation singulière et même paradoxale : comment être sûr qu’une personne accompagnée soit apte à avoir une relation sexuelle alors qu’elle seule serait à même d’en juger ? Question d’autant plus difficile à trancher qu’un acte sexuel se déroule dans la plus stricte intimité et que, par définition, il ne regarde absolument personne d’autre que les ceux qui s’y impliquent ; du moins tant que cet acte n’est pas ou n’a pas été abusif.

Pour faire face à cette gageure, le plus simple semble de promouvoir une position aussi volontariste que naïve qui passe d’autant mieux qu’elle rejoint les antiennes à la mode : la sexualité relèverait d’une pratique multiforme belle et bonne dont les débordements possibles seraient maîtrisés et contenus par l’expression d’un consentement « libre, éclairé, spécifique, continu et enthousiaste ».

Affirmative, l’HAS n’hésite pas à avancer que « Chacun a son propre vécu et sa définition de la VIAS (3) », rendant son approche encore plus curieuse. En effet, si l’on peut être d’accord avec l’unicité d’un vécu, on ne peut pas souscrire à l’idée que les mots ou les concepts auraient une définition personnalisée, variable selon les besoins ou les situations. Toute approche sérieuse, pour n’importe quelle discipline, de la grammaire à la linguistique, de la philosophie à la psychologie, de l’anthropologie à la statistique pour ne prendre que quelques exemples, commence par définir précisément les termes qu’elle utilise. Comment argumenter si l’on ne sait pas de quoi on parle ? En cas de besoin, on se réfère au dictionnaire. Ou, quand des concepts sont modifiés par des chercheurs à l’issue d’un travail particulier, on l’indique. C’est une maladie très actuelle, développée par certains experts, que de s’appuyer sur des concepts flous et fluctuants ; ce que les universitaires n’acceptent jamais.    

Que l’on veuille une sexualité absolument sûre part d’une bonne intention mais ne correspond guère à la réalité de l’expérience de la plupart des gens. Simplement parce que la sexualité est complexe. Nous avons vu qu’elle se construit au cours d’un processus long et délicat qui, à un moment donné, débouche sur une transgression nécessaire. Ce qui peut faire peur. La maturation du corps permet de complexifier les expériences qui intègrent progressivement et finalement l’autre comme un partenaire souhaité. Les fantasmes guident et soutiennent le désir et colorent les expériences ; la plupart du temps, ils restent du domaine privé et une majorité de personnes ne tient pas à les révéler, même à leur partenaire ; ces fantasmes peuvent être perçus comme inavouables. La pratique sexuelle nécessite de se mettre à nu, de renoncer à nombre de protections dont les vêtements font partie, ce qui met en situation de fragilité, voire de vulnérabilité. Et si beaucoup de pratiques que l’on qualifiait naguère de préliminaires peuvent être douces, un coït, pour être effectif, est un rentre dedans. Au point que toute peur de faire mal à l’autre lors de cet acte peut rendre impossible une pénétration. C’est pourquoi la condition essentielle pour qu’un acte sexuel se déroule au mieux est celle de la confiance réciproque qui n’est possible que dans le respect mutuel.

Lorsque cette condition est présente, l’acte sexuel se construit au cours d’un accordage entre les partenaires qui peuvent découvrir, au fur à mesure de son déroulement, de quoi ils ont envie à ce moment-là, osant ou non telle exploration, acceptant ou non de faire plaisir, de donner, de recevoir. Le plaisir est alors souvent soutenu par la rencontre de l’inconnu ; de ce à quoi on n’a pas pu encore consentir.  

 

Non consentement plutôt que consentement

Dans ce contexte très précis où règnent confiance et respect mutuel, où le consentement se présuppose, on peut bien perdre la tête et utiliser des mots qui n’ont d’usage qu’à ce moment-là. Les oui et les non deviennent alors incertains. C’est pour cela que les adeptes des pratiques sadomasochistes utilisent un safe-word. Un mot convenu dont l’usage lève toute ambiguïté et provoque immédiatement l’arrêt de l’action en cours. Dans une relation respectueuse, un non, quelle que soit la manière dont il est exprimé, est immédiatement perçu, reconnu et accepté.

C’est ce que rappelle avec clarté la philosophe Espagnole Clara Serra : « Il faut comprendre que le consentement est un principe, une idée qui vise à ce que nous ayons une sexualité libre. On peut ensuite le définir de bien des manières, mais l’essentiel est que la négation soit claire. Le oui n’existe que dans la possibilité de dire non » (4).

Mais l’HAS, dans son argumentaire comme dans ses recommandations, a choisi d’écarter les travaux des philosophes qui, comme Geneviève Fraisse (5) ou Manon Garcia (6), précèdent Clara Serra (elle a aussi choisi d’ignorer nos publications sur le sujet  (7)). Ces féministes reconnues qui ne peuvent être soupçonnées de complaisance montrent avec force argumentations à quel point la notion de consentement est fragile, au-delà du fait que l’on n’ait pas forcément à savoir précisément de quoi on a envie avant de découvrir ce qui s’offre à nous. Par exemple, un consentement clairement exprimé n’aura aucune valeur si la personne qui le prononce se sent menacée ou si elle craint des représailles, pour elle ou pour ses enfants. Et, à l’inverse, il est licite et moral d’accepter une relation sexuelle dont on n’a pas spécialement envie pour faire plaisir à son partenaire.

La lecture des ouvrages de ces auteur(e)s nous permet de comprendre pourquoi il est vain et impossible de courir après un consentement éclairé et pourquoi il est fondamental, possible et relativement facile de promouvoir, sans ambiguïté, l’expression d’un non-consentement.

D’où vient cet emballement pour le consentement ? C’est simple. Nos sociétés ne tolèrent plus qu’un acte sexuel soit imposé et condamne tous ceux qui ne sont pas consentis. Ce choix est un véritable progrès, heureux, qui doit être salué, respecté et défendu avec la plus ferme conviction.

Elles affirment que si un acte non consenti est inacceptable, seul un acte consenti le sera. Cela semble logique mais revient à affirmer avec légèreté que le contraire du non consentement est obligatoirement le consentement. Ce qui est loin d’être le cas. Le fait de savoir ce que l’on ne veut pas ne signifie jamais que l’on sache ce que l’on veut.

Réclamer d’un sujet qu’il sache ce qu’il veut, qu’il soit capable de l’énoncer à un tiers et de s’y tenir ne tient pas compte de l’obscur objet du désir, qui est labile et insondable.

Je ne sais jamais tout à fait ce que je veux. C’est pour cela que je suis un être de désir.

Le seul sujet capable de consentir clairement serait un sujet sans inconscient dont l’étendue de la sexualité serait infiniment connaissable. Sexualité qui ressemblerait fort à une activité physique hygiéniste : à laquelle peu de gens aspirent et dans laquelle on ne se reconnaît en général pas. À s’y adonner, la perte pourrait être trop grande. C’est ce que nous indique Claude Cahun, surréaliste qui, comme toutes les autres femmes de ce mouvement, ne revendiquait pour elle et pour tous les représentants de l’humanité qu’une seule chose, la liberté : « Le ciel a ses racines dans l’enfer. Racines bleues à l’image des flammes. Les plus dangereux ennemis du bien sont ceux qui cherchent à supprimer, au propre, au figuré, le mal, ce qui fait mal, à l’extirper du monde. Qu’ils réussissent (ils auront fort à faire) ce serait un déboisement complet des plus hautes valeurs. Plus le moindre contraste, tout perdrait l’équilibre, le plaisir y passerait, même le sommeil. Nos nuits se faneraient, fleurs coupées du rêve. Les mots seraient partout et nulle part à leur place. Sans laideurs, sans douleur, sans contrepartie, je ne tiens pas debout » (8).

Renoncer à l’obscurité et à l’ambivalence du désir, c’est participer au désenchantement du monde. Alors, comme l’écrit Claude Cahun, « Les mots [seront] partout et nulle part à leur place ». C’est exactement ce qui se passe dans le monde des experts où les mots n’ont plus besoin d’être définis et où ils peuvent changer de sens au fil des besoins. Experts adeptes d’une novlangue digne de celle inventée par Georges Orwell (9) ; qui ne l’a fait que pour en dénoncer les dangers.

Dans ces voies sensuelles ouvertes par ces autrices, on devine ce qui fait défaut dans la seule revendication d’un consentement clairement exprimé qui sonnerait le renoncement à toute ambiguïté trouble. On peut d’ailleurs s’étonner de trouver si peu de questionnements sur les effets possibles d’un changement aussi net dans la pratique sexuelle. Sans surprise, c’est dans les romans que l’on va voir se dessiner les premiers signes d’évolutions sociales. À ce titre, les livres de Sally Rooney (10) sont éclairants. Dès ses premiers écrits, cette jeune Irlandaise s’est révélée un phénomène littéraire : ventes considérables, traductions en de multiples langues, adaptation en série télévisée… Elle aborde en toute simplicité la vie des trentenaires d’aujourd’hui. Ses personnages, bien qu’éco-anxieux, sont intégrés socialement. Leur sexualité est évoquée de manière directe, parfois crue. Elle scande leur vie. Bons élèves d’une éducation sexuelle moderne, ils cherchent tendrement (et verbalement) le consentement de leur partenaire qui répond en toute simplicité. En revanche, ils semblent perdus dans les relations quotidiennes les plus banales : ils ont peur d’être amoureux, pratiquent, sans conviction, l’amour amical ou le polyamour, ne savent pas s’ils veulent des enfants, se quittent quand ils s’aiment, vivent ensemble sans s’aimer, souffrent beaucoup et se font souffrir…  Comme si les nouveaux codes définissant la vie sexuelle avaient fragilisé ou détruit ceux de la vie relationnelle.

 

Une « sensibilisation » flirtant avec le voyeurisme ?

Comme appui à la transparence du désir, l’HAS préconise une approche pédagogique, espèce d’éducation sexuelle définitive dont la précision devrait garantir la validité du consentement. Ainsi, les professionnels ont à promouvoir « La connaissance sexuelle, englobant la compréhension des parties du corps, des comportements sexuels, des conséquences potentielles de l’activité sexuelle, notamment la grossesse et les IST, ainsi que la capacité à obtenir et à utiliser des moyens de contraception ». Ils doivent aussi s’assurer de l’intégration de ces savoirs, condition sine qua non pour aborder en toute connaissance l’acte sexuel. Bien sûr, une éducation sexuelle est nécessaire et bienvenue. Mais elle doit rester ce qu’elle est : une base de connaissances favorisant la décision d’aborder l’acte sexuel plus sereinement et en meilleure sécurité mais qui, en aucun cas, ne peut remplacer l’expérience ; cette dernière seule peut confirmer la pertinence du choix et les capacités réelles de la personne qui s’engage dans l’acte. L’éducation sexuelle ne peut réduire le côté obscur de la sexualité ni l’aventure réelle que représente le fait de vivre la relation sexuelle. Proposer et imposer indéfiniment une éducation sexuelle, même si on la dissimule sous une énigmatique « sensibilisation » chez les adultes comme le préconise l’HAS revient à repousser le temps de l’expérience.

Notons que le développement d’une éducation sexuelle exhaustive, dont l’objectivité se revendique de la science, s’inscrit dans le contexte d’un appauvrissement du nombre et de la qualité des récits traditionnels chargés de donner du sens à l’existence tout en créant du lien social. En effet, comme le démontre Byung-Chul Han, nos sociétés font face à une crise narrative (11) : leurs textes structurants, toujours édifiants, mythes, contes, maximes, proverbes et apophtegmes, romans… qui font appel à une culture commune et à l’imaginaire, cèdent la place aux énoncés essentiellement informatifs et normatifs. Les premiers s’adressent aux sujets qui fondent une communauté, les seconds à des consommateurs en recherche d’efficacité et de développement personnel. L’apparente scientificité des énoncés actuels cherche à nier leur contenu idéologique et arbitraire, pourtant très présents (si ce n’était pas le cas, l’éducation sexuelle n’évoluerait pas). À bien y regarder, les grandes sources d’informations sexuelles aujourd’hui sont celles qui viennent des nouveaux récits sociaux : l’éduction sexuelle et la pornographie qui ne s’opposent qu’en apparence. L’une et l’autre, 2 faces d’une même médaille, s’affirment dans leur pauvreté, leur univocité, leur normativité, leur fonctionnalité et leur égocentrisme.

S’assurer d’une connaissance suffisante pour accepter l’idée qu'une personne s’engage dans un acte sexuel revient à s’immiscer dans son intimité tout en laissant penser que la sexualité en jeu, alors partageable, serait aussi transparente qu’avouable, débarrassée autant que possible de tout érotisme. Cette idée de réduire la sexualité à une pratique transparente n’est pas neuve, comme l’exprime justement Suzanne Lilar, mais elle tend à se développer et, dans une relation d’autorité, à réduire les marges de manœuvres et de liberté des personnes dépendantes. L’autrice évoque la lutte historique et incessante entre Masculinité et Féminité, la première s’arrogeant le pouvoir de subordonner la seconde comme en témoigne l’organisation paternaliste et phallocrate de la société. Dans ce contexte d’expression du pouvoir, la lutte se poursuit pour que les dominants le restent. Pour ce faire, ils n’hésitent pas, sous couvert de bienveillance, à restreindre les espaces de liberté, notamment celui que représente l’exercice de la sexualité, en le réduisant à une pratique saine, partageable, maîtrisée. « Mais peut-être s’est-on déjà avisé que cette dégradation d’éros n’est qu’un aspect de sa désacralisation. La monstruosité d’une éducation sexuelle qui ignore délibérément l’amour et s’acharne contre le mystère témoigne de ce séparatisme et de cette profanation. Axée sur l’organique et le fonctionnel, on sait qu’elle prétend à l’objectivité. Mais c’est une fausse objectivité que celle qui prétend ramener à l’explicable l’énormité et le scandale du fait sexuel. L’explication naturaliste est une duperie. Elle n’épuise pas le contenu d’actes qui mettent en jeu les énigmes de la vie et de la mort, de la chair et de l’esprit, de la perdition et du salut » (12).

Comment mieux rappeler que la sexualité est nouée à la dimension tragique (et sublime) de l’existence, qu’elle renvoie chacun à sa solitude et ne peut se développer que dans la conscience de l’altérité et la prise de risque. Risque qui semble remplir d’horreur les rédacteurs des recommandations qui ne font qu’en rajouter du côté de l’accompagnement contrôlé et d’une approche inquisitrice. Ils insistent : les professionnels « doivent enseigner l’importance du consentement et le droit de dire non. »

Mais dire non ne relève pas du droit, bien heureusement. Dire non est une nécessité vitale qui nous permet d’exister comme sujet du désir en refusant l’autorité excessive et attentatoire de l’autre dont on dépend. Dire non, c’est la grande affaire de l’enfant dès avant ses deux ans. Il n’y parviendra qu’en constatant l’effet que celui-ci produit sur son entourage qui l’encouragera en le respectant à partir du moment où il est fondé. Dire non s’apprend dans l’expérience relationnelle confiante.

Pouvoir dire non, c’est aussi construire et défendre les conditions de son intimité ; espace et situations de secret et d’intériorité ; de relations profondes et de grande proximité. Aspirer à son intimité, c’est aussi être capable de respecter celle de l’autre. Très vite, l’enfant acquière ces notions confortées par l’éducation. 

Il est donc étrange d’apprendre que l’HAS retient « L’absence de définition précise de l’intimité ».  À quoi elle ajoute « la nécessité de concilier le droit à la vie intime avec d’autres droits (droit à la santé, droit à la protection, etc.) ».  Pourtant, seul le fait de ne pas mettre en danger autrui amène à réduire le champ de son intimité, ce qui est facile à argumenter et qui est généralement bien accueilli.

Le domaine de la sexualité est celui de l’intimité. Personne n’a à s’en mêler sinon s’il y est impliqué comme partenaire. Dans le cas contraire, il transgresse un interdit et, pour le moins, se manifeste comme voyeur. C’est plus ce franchissement possible d’une frontière incertaine qu’une tension éthique qui rend toute intervention difficile pour les professionnels.

 

Soutenir l’autonomie avant tout

Concrètement, l’axe de travail le plus probant pour les accompagnateurs est celui du soutien au développement optimal de l’autonomie ; c’est d’ailleurs ce que demandent les lois de 2002 et de 2005. Seul cet axe privilégie la conquête de la liberté où s’insèrent les pratiques sexuelles. Est autonome celui qui accepte de son plein gré la loi humaine, qui le précède et qui permet à tous de vivre le mieux possible ensemble, dans le respect de droits communs et équilibrés. Le sujet autonome a renoncé à la toute-puissance ; il sait qu’il vit en interdépendance avec les autres auxquels il est lié par une solidarité implicite. En aucun cas l’autonomie ne peut se réduire à une simple aptitude fonctionnelle, ce que prétendent les promoteurs de l’autodétermination. Or, celle-ci concerne les peuples et le droit qui leur est internationalement reconnu de disposer d’eux-mêmes. Curieusement, l’autodétermination (13), telle qu’elle est revendiquée dès lors qu’elle s’applique au sujet, implique la présence effective et l’intervention de tiers. Le sujet autodéterminé ne l’est qu’avec l’accord de ces tiers. Ce sujet-là est alors freiné dans la quête de son autonomie.

Accompagner sur la voie de l’autonomie nécessite pour l’accompagnateur de s’effacer dès que possible. De renoncer à surveiller l’autre, à vouloir à sa place ou à le protéger bien au-delà du nécessaire.

 

Pourquoi les recommandations de l’HAS ne « marchent » pas et ne peuvent pas « marcher » ?

C’est assez simple : elles sont injonctives et paradoxales. Leur structure logique et leur insistance à aborder des notions complexes comme si elles étaient évidentes imposent conclusions et directives. Elles laissent peu de place à l’alternative et encore moins à la contradiction ; encore faudrait-il, pour cela, pouvoir discuter avec les rédacteurs. Or les institutions ne le peuvent pas.

Vérifier l’existence et la validité d’un consentement revient à investiguer ce à quoi il se rapporte. C’est-à-dire à attendre que soit dévoilé l’objet du désir. Ce qui relève de l’intime qui, par définition ne doit pas être partagé. Du moins pas avec quelqu’un d’autre qu’un partenaire. Une telle démarche n’est jamais éloignée du voyeurisme ; ce qu’exprime assez bien le malaise des professionnels devant cette tâche. C’est tout à fait différent que d’instaurer une relation de confiance qui favorisera tout besoin de se confier et d’aborder des questions intimes pour ceux qui le souhaitent. Entrer dans l’intimité d’un autre en dehors du contexte qui autorise à le faire renforce la relation d’autorité ou de domination à son égard ; il serait naïf de soutenir le contraire.

Vouloir respecter l’intimité alors qu’on la brise est contradictoire. Quelle que soit l’organisation d’une institution, il est toujours possible d’y ménager (et non pas d’y aménager) des espaces d’intimité. Ce sont ceux dont on laisse libre la jouissance. Les chambres, bien sûr, mais aussi tous les lieux intermédiaires, encoignure de porte, couloir, cabane, toilettes, etc. Ceux que savent si bien trouver les adolescents et les amoureux. Pourvu qu’on les y laisse tranquilles.

Pour toutes les raisons développées dans cet écrit, il est pratiquement impossible d’instaurer un apprentissage cohérent du consentement. Alors qu’apprendre à dire non est beaucoup plus simple ; de plus, c’est à la portée de tout le monde, y compris des personnes qui n’ont pas l’usage de la parole. Il leur suffit de crier. Elles le font si on les encourage à le faire.

Insister auprès des personnes sous sujétion pour qu’elles développent leur capacité à consentir relève d’une hypocrisie et confine parfois au sadisme. La plupart d’entre elles n’ont pas choisi d’être en institution et on ne leur a pas demandé leur avis. Ce qui instaure la relation d’autorité entre le professionnel et l’usager repose sur une absence de consentement. Quand on dit oui, c’est toujours à quelque chose. Dans le contexte qui nous intéresse ici, comme ce n’est pas à l’acte sexuel à venir, encore inconnu, c’est à la demande de celui qui censure cet acte. Ce oui exigé par un tiers (intrus) est donné comme un aveu de conformité, d’allégeance. Comment ne serait-ce pas un oui de dupe(s) ?

Travailler des objectifs impossibles en laissant croire qu’ils sont raisonnables et normaux ralentit la possibilité de les atteindre et la rend impossible. Contrairement à leur intention, les recommandations infantilisent les usagers.

 

 Pourquoi les professionnels ne protestent pas et semblent adhérer à la logique des recommandations ?

C’est assez simple : on ne leur demande pas leur avis et, s’ils désirent l’exprimer, ils n’ont pas d’interlocuteurs. De plus, les évaluations régulières entretiennent la menace d’une perte de l’agrément si elles ne sont pas bonnes. Et comme elles ont tendance à respecter à la lettre les recommandations…

Pourtant, la plupart des professionnels protestent contre la tyrannie instaurée par les nombreuses recommandations, souvent fantaisistes, et les évaluations telles qu’elles sont conduites la plupart du temps, qui imposent des micro-adaptations permanentes, chronophages et souvent improductives.

Les professionnels ont beaux vitupérer les normes incessantes, les concepts mous et faussement novateurs qui détournent une partie non négligeable d’entre eux de leur cœur de métier, ils obtempèrent. À croire que les réflexions de La Boétie (14) restent d’actualité. C’est aussi ce qu’avance Roland Gori : « L’émergence de cette « densification normative » ne cesse d’envahir les sphères du social et de l’intime au point que la force de ces normes, cette « force de la forme » dont parlait Pierre Bourdieu, légifère la plupart de nos comportements et contraint à la soumission sociale et à la servitude volontaire » (15).

Les recommandations présentent la sexualité comme si c’était un sujet comme un autre. Or, c’est loin d’être le cas. Sauf à être exhibitionniste, ce qui est réprouvé par la morale et par la loi, personne n’a envie de dévoiler ses fantasmes et ses désirs et encore moins la réalité de ses pratiques. Tout cela relevant de l’intimité et étant destiné à rester dans ce domaine. Personne n’accepterait comme allant de soi d’être interrogé sur ces sujets. Personne, parmi les accompagnateurs, n’accepterait d’être traité comme les personnes accompagnées.

Accepter sans broncher l’idée d’une sexualité dont on peut parler librement revient à affirmer que l’ensemble de nos pratiques sexuelles est avouable. C’est avant tout défensif. S’y opposer laisserait penser que nos pratiques pourraient être inavouables, donc déviantes, ce que l’on se refuse à faire. Pourtant, la solution devrait être évidente : ces pratiques ne regardent personne d’autres que les partenaires, qu’ils appartiennent ou non à une population sous sujétion.

Le tour de force des recommandations, par leur répétition et leur nombre sans cesse croissant, par leur simplification outrancière, par leur manière de privilégier le point de vue d’experts souvent autoproclamés, par leur dédain envers les travaux des universitaires, est de mettre sous sujétion la population des professionnels. Il n’est donc pas étonnant de constater que ces recommandations infantilisent les professionnels, contrairement à l’intention qu’elles professent.

Par ailleurs, ces recommandations reprennent, la plupart du temps, les bases de l’éducation commune et celles acquises lors des formations initiales, comme si les personnes auxquelles elles s’adressent n’avaient pas les compétences requises, ce qui, là encore, les dégrade, au sens premier du terme, et les infantilise.

Personne n’aimant être pris pour un enfant, personne n’acceptant de reconnaître que c’est pourtant le cas, chacun fait profil bas. On comprend mieux pourquoi la logique des recommandations et des évaluations dévaluées restreint la marge des actions innovantes comme celle des libertés.

 

Notes :

  1. R. Gori, « La folle passion des normes et des indicateurs dans nos sociétés » in Revue juridique de l’environnement 2024/HS1 (n° hors-série). Pages 13 à 22, Ed. Lavoisier. Article disponible en ligne à l’adresse www.cairn.info/revue-juridique-de-l-environnement-2024-HS1-page-13.htm
  2. B. Lahire, Les structures fondamentales des sociétés humaines, Ed. La Découverte, 2023.
  3. VIAS = Vie Intime, Affective et Sexuelle
  4. C. Serra, La doctrine du consentement, Ed. La fabrique, 2025 pour la version française.
  5. G. Fraisse, Du consentement, Ed. du Seuil, 2017.
  6. M. Garcia, La conversation des sexes, Ed. Flammarion, 2021.
  7. D. Vaginay, Une sexualité pour les personnes handicapées : réalité, utopie ou projet ?, Ed. Chronique sociale, 2014 ; Sexualité et handicap – Dix fausses bonnes idées, Ed. Chronique sociale, 2023.
  8. C. Cahun, Velléités (1930)cité dans L’araignée pendue à un cil 33 femmes surréalistes, NRF Poésie/Gallimard, 2024 p. 72.
  9. G. Orwell, 1984, 1948, Ed. Seuil/Gallimard, 1950.
  10. Voir, par exemple, S. Rooney, Conversation entre amis, (2017), Ed. L’Olivier, 2019 ou Normal People, (2018), Ed. L’Olivier, 2021.
  11. Byung-Chul Han, La crise dans le récit, (2023) Ed. Puf, 2025.
  12. Suzanne Lilar, La malentendu du deuxième sexe (1969), cité dans L’araignée pendue à un cil 33 femmes surréalistes, NRF Poésie/Gallimard, 2024 p. 296.
  13. La notion d’autodétermination qui prétend supplanter celle d’autonomie est critiquée par des nombreux intellectuels, universitaires, par exemple, entre autres, Caroline Eliacheff dans La Fabrique de l’enfant transgenre, écrit avec Céline Masson, Ed. de l’observatoire, 2022 ou Guy Rosolato dans La Fabrique de nos servitudes, Ed. Les liens qui libèrent, 2022. Ces auteurs ne sont jamais cités ni pris en compte par les promoteurs du concept fragile qu’est l’autodétermination.
  14. Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, première édition française 1576. De nombreuses éditions modernes sont disponibles.
  15. Roland Gori, op. cit.