Aller au contenu principal

Le poulpe, les sirènes et le mérou

Véronique VIALATTE

Episode 3 : Danse avec Superman

Un étudiant d’IFSI peut-il tenir ses promesses ?

Pour votre été, la revue ETHIQUE vous offre un peu de littérature : le dernier volet très attendu de la trilogie littéraire Le poulpe, les sirènes et le mérou, ou les dessous de la formation en IFSI avec Phil, Marie et les autres. Un feuilleton iconoclaste par Véronique VIALATTE. La question de l’identité sera centrale. On y verra des Barbapapas, danser Superman et Balthazar le mérou conclure l’affaire…

 (PDF de l'article en bas de document)

 

Véronique VIALATTE est formatrice en soins infirmiers depuis 5 ans à l’IFSI d’Auxerre. Issue d’une des dernières promotions d’infirmiers de secteur psychiatrique, elle a exercé dix ans en qualité d’Infirmière, puis seize ans en tant que cadre de proximité. Elle a une appétence certaine pour la plongée sous-marine.

Article référencé comme suit :

Vialatte, I (2016) "Le poulpe, les sirènes et le mérou" Episode 3 in Ethique. La vie en question, juillet 2016.

 

Si vous avez raté les épisodes précédents (accessibles sur la revue ETHIQUE au niveau des "articles parus") :Phil veut être infirmier, mais au soir de son parcours estudiantin, il fait l'objet d'une sanction d'éviction définitive prononcée par son IFSI d'origine.Mu par l'énergie du désespoir, Phil riposte et demande à intégrer notre IFSI.

A la fin de ce parcours nous retrouvons notre étudiant métis. A l'instar du poulpe chevronné, il se fond dans le décor. Il connaît les habitudes du service, des personnes ; il les a intégrées, il est intégré... Au risque d'être atteint de ce que nous appelons le "syndrome Barbapapa".

 

 

Le syndrome Barbapapa  

Regardons dans le rétroviseur, réglé sur les années 70, pour retrouver ces monstres colorés, tout en rondeur. Barbapapa, inspiré par la friandise homonyme, est né d'un coup de crayon sur la nappe d'un restaurant parisien. Tout nu, tout rose, piriforme, et, comment dire ? ... Obèse. Il n'en séduit pas moins l'élégante Barbamama. Couleur réglisse, toujours coiffée d'une couronne de fleurs, sa forme est un petit plus travaillée : elle a un cou. Ils ont de nombreux enfants, une kyrielle de "barb-quelquechose" tout colorés, dont le suffixe signe la personnalité, leur conférant par là même une dimension anthropomorphique. Ainsi naissent Barbidur, Barbotine, Barbabelle, Barbidou, Barbibul, Barbalala et Barbouille. Barbidur, le rouge, est un costaud, un sportif glouton. Le jaune Barbidou, à l'inverse, est un tendre. Il aime la nature et se méfie, à juste titre, des expériences génétiques de Barbibul, le scientifique de la bande. Barbotine est une intellectuelle militante, Barbalala aime le chant, Barbouille les arts plastiques, et Barbabelle se campe volontiers en reine de beauté. "Hulahup ! Barbatruc !" est la formule magique qui leur permet de se transformer à volonté, toujours dans une visée écolo-pacifiste, qu'il convient de resituer dans le contexte d’émergence du débat écologique des années soixante dix. Un léopard s'est échappé du zoo et menace des humains ? Barbapapa se transforme en douce cage pour raccompagner le fauve à sa demeure. Toute une famille est prisonnière d'un immeuble en feu ? Le voici transformé en échelle. Cela émerveille les enfants mais devons-nous envier la plasticité du bidule qui, à force de malléabilité, demeure a-morphe ? Supposons que Phil ait cette capacité à prendre la forme de son environnement, à "être identique à". "Identique" et "identitaire" sont deux adjectifs construits à partir du substantif "identité" et ici leur distinction nous semble cardinale.

 

Entre identique et identitaire

Dans l'usage courant, identité signifie le fait d'être un individu donné et d'être reconnu comme tel. Et pourtant quinze jours ont rendu Phil méconnaissable. Ici, Vincent Descombes nous interpelle une nouvelle fois, en nous disant mais "Comment une chose quelconque pourrait-elle rester la même, demeurer elle-même et pourtant changer ? [...] si la chose a changé, elle n'est plus la même ; si elle est la même, elle n'a pas changé" (1).  Point, à la ligne. Nous sommes tentés d'opiner, avant de réaliser qu'il amorce le paragraphe suivant en qualifiant cet argument imparable de sophisme. Et il n'est pas seul à vouloir lever cette aporie, il faut lire pour s'en convaincre une page bien connue de Vies des hommes illustres, dans laquelle Plutarque nous conte l'histoire de Thésée. Nous retrouvons ce héros grecque au moment où, après avoir triomphé du Minotaure, il rentre à Athènes, à bord de son célèbre bateau. "Le vaisseau sur lequel Theseus alla & retourna, estoit une galiotte à trente rames, que les Athéniens garderent iusques au temps de Demetrius le Phalerien, en ostant tousiours les veilles pieces de bois, à mesure qu'elles se pourrissoyent & y en remettant des neuus en leurs places : tellement que depuis, es disputes des philosophes touchant les choses qui s'augmentent à sauoir si elles demeurent une ou si elles se font autre, ceste galiotte estoit toujours alléguée pour exemple de doubte, pour ce que les uns maintenoient que c'estoit un mesme vaisseau, les autres au cotraire soustenoient que non" (2). Le vieux français de Jacques Amyot n'étant pas toujours limpide, nous nous autorisons une escapade googleéénne :"Le navire à trente rames sur lequel Thésée s'était embarqué avec les jeunes enfants, et qui le ramena heureusement à Athènes, fut conservé par les Athéniens jusqu'au temps de Démétrius de Phalère. Ils en ôtaient les pièces de bois, à mesure qu'elles vieillissaient, et ils les remplaçaient par des pièces neuves, solidement enchâssées. Aussi les philosophes, dans leurs disputes sur la nature des choses qui s'augmentent, citent-ils ce navire comme un exemple de doute, et soutiennent-ils, les uns qu'il reste le même, les autres qu'il ne reste pas le même" (3). Mais pourquoi un tel intérêt pour ce bateau ? Pour les Athéniens, l'attentive conservation de l'ouvrage est l'expression d'un hommage au héros rédempteur : en tuant le Minotaure, Thésée les libère d'un lourd tribut. Pour les philosophes, il s'agit d'une expérience de pensée, aussi nous faut-il imaginer un scénario parfait. En remplaçant les planches au fur et à mesure de leur dégradation, les Athéniens ont fini par toutes les changer. De ce fait, est-ce toujours le bateau de Thésée ? Est-ce le même bateau que celui qui ramena le héros et les enfants sains et saufs à Athènes ? Paul Ricoeur utilise cette expérience pour nous signifier que le changement de toutes les pièces n'altère en rien l'organisation du navire (4). Il semble alors nous dire que même si les matériaux ont été entièrement modifiés, il y a une identité de structure. C'est ici qu'il nous faut distinguer entre l'idem et l'ipse, éclairée par ses analyses portant sur les problèmes de l'identité personnelle.

 

Entre idem et ipse

A la question de savoir comment une chose peut rester la même et pourtant changer, Ricoeur répond qu'il est urgent de distinguer "d'un côté l'identité comme mêmeté […], de l'autre l'identité comme ipseité […] L'ipseité, ai-je maintes fois affirmé, n'est pas la mêmeté" (5). Cette confusion s'origine dans une abrasion, propre à la langue française, qui utilise le même mot pour deux formes différentes d'identité. Il illustre son propos en utilisant les diptyques anglais sameness/selfhood et allemand Gleichheit/Selbstheit, héritiers des idem (même) et ipse (soi-même) latins. La mêmeté renvoie à l'identique, à la constance, la permanence dans le temps. Elle s'oppose au variable et trouve son illustration dans la formule "il est toujours le même". L'ipséité, en laissant place à la mouvance, nous propose une autre modalité, une identité du soi changeante au cours du temps. Si nous reprenons la métaphore du bateau, les planches, remplacées une à une au cours des années, le furent avec précaution, respectant la matrice, la forme, et finalement le plan idéal du bateau. Nous nous demandions s'il s'agissait toujours du bateau de Thésée. La mêmeté ne nous suffit pas pour répondre à cette question, il nous faut une identité qui pourrait être une sorte d'ipseité, permettant de concilier permanence et changement. Par analogie, nous pouvons proposer que de même que la structure qui se pérennise malgré les matériaux qui changent permet d'affirmer qu'il s'agit du même bateau, de même les idées, principes, valeurs d'un homme, qui perdurent malgré les offenses du temps, permettent d'affirmer qu'il s'agit de la même personne. Oui nous avons changé, nos cellules actuelles sont différentes de celles d'il y a vingt ans, nos mains, notre peau, nos idées politiques éventuellement, nos goûts, notre maison, notre métier, de nombreuses choses ont changé et changeront encore. Ne sommes-nous pour autant qu'une succession de tableaux éphémères ? Certes non, nos habitudes, nos traits de caractère, nous rendent reconnaissables, mais intéressons-nous plutôt à ce que concède Ricoeur lorsqu'il nous dit qu' "il est en effet un autre modèle de permanence dans le temps que celui du caractère. C'est celui de la parole tenue dans la fidélité à la parole donnée" (6). Il nous livre là un bien curieux alibi, être fidèle au "je te donne ma parole" serait gage de notre identité ? Pour clarifier ce salmigondis de fidélité, promesse et identité, Kant est l'auteur qu'il nous faut. Aussi allons-nous feuilleter quelques pages des Fondements de la métaphysique des mœurs (7) et de la Critique de la raison pure (8). La morale kantienne est limpide : nul ne doit tenir de promesse avec l'intention de ne pas la tenir. Si l'idée est inoxydable, le caractère est peu enclin à la drôlerie... Une seule fois... Pour nous sortir d'un grand embarras... Notre cœur dit oui mais, avec Kant, notre raison dit non. Dans ce face à face inéluctable, il tonitrue que c'est justement l'exception qui est à l'origine du mal. Pour être morale, une action doit pouvoir être érigée en maxime universelle et l'érection de la fausse promesse en obligation morale serait fossoyeuse de toute cohésion sociale puisqu'elle signerait la disparition du respect des autres et de soi-même. Or la promesse est obéissance au principe d'identité. "Identité" et "non contradiction" sont les deux principes purs, a priori, qui interviennent dans la vie morale des êtres humains. Ils sont intimement liés, leur mise en équation en témoigne : si a = a (principe d'identité) nul ne contestera que si a = b, b ne peut être différent de a. (principe de non contradiction). L’obéissance au principe d'identité atteste que quelque chose en nous ne changera pas et ici nous empruntons cette jolie formule, entendue à l'école éthique de la Salpêtrière "Le temps va changer mes manières d'être mais il ne changera pas l'être de mes manières" (9). Soufflons sur la braise, attisons le feu en proposant que toute promesse est un engagement à la fidélité, que toute fidélité est souvenir d'une promesse. Fidélité est Fides, nous dit le dictionnaire universel de mythologie, cette déesse romaine qui "présidait à la bonne foi dans le commerce de la vie, et à la sûreté dans ses promesses" (10). Il ne s'agit pas de s'abreuver de promesses plus ou moins solennelles, Fides est gardienne de l'honnêteté et du respect des engagements. Le respect de la parole donnée est ce quelque chose d'immuable que nous portons en nous, ce quelque chose qui nous rend digne de confiance, reconnaissable à nos yeux et à ceux des autres. C'est sans doute le sens du propos de Ricoeur lorsqu'il nous dit que "la tenue de la promesse […] paraît bien constituer un défi au temps, un déni du changement" (11).Le propos nous semble rassurant, mais sera-t-il suffisant pour apaiser Sylvain, cet étudiant qui nous interpelle dans son article "Parce que l'étudiant est aussi une personne..." (12). Il a le sentiment de ne plus être une personne, mais juste le miroir des volontés de celui qui l'encadre. Peut-on ainsi perdre son identité ? Molière semble en convenir avec ce monologue qu'il place magistralement dans la bouche et la gestuelle d'Harpagon. Nous vous en livrons cet extrait. "Au voleur, au voleur, à l'assassin, au meurtrier ! Justice, juste ciel ! [...] Qui est-ce ? Arrête. (Il se prend lui-même le bras). Rends-moi mon argent, coquin... Ah, c'est moi. Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. […] je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris ?" (13).

La Flèche avait prévenu : si demander de l'argent à Harpagon c'est lui donner des convulsions, lui dérober sa précieuse cassette c'est lui ôter la vie, après l'avoir spolié de son identité. Harpagon semble ici souffrir d'un dédoublement de personnalité, se prenant lui-même le bras, ne se reconnaissant pas. Mais ce monologue désespéré est l'expression d'une folie, d'une passion aiguillonnée par un enchantement de la faculté de juger : son avarice. Son argent c'est sa vie, le lui prendre c'est le tuer. Confondant l'être et l'avoir, il se trouve dans un état pathologique de perte d'identité. Au cours de nos vingt-cinq ans d'exercice en service de psychiatrie, nous avons bien souvent rencontré des personnes souffrant de cet état de perte du sentiment d'être soi. Lorsque Hannah Arendt nous dit que la faculté de promettre a une fonction stabilisatrice, que "Si nous n'étions pas liés par des promesses, nous serions incapables de conserver nos identités" (14), nous comprenons mieux la terreur lue dans le regard de certains patients encore conscients de ne plus se souvenir. Comment tenir sa promesse lorsque l'oubli à mesure s'installe ? Il y a là une promesse impossible à tenir : celle de se souvenir.La passion d'Harpagon, l'amnésie du dément, toutes deux sont d'extrêmes origines de la perte ultime du sentiment d'être soi. Il est ici légitime de se demander si, à l'inverse, il existe un état d'hypertrophie du soi. Nous ne parlons pas ici du simple égoïsme, sur lequel Eugène Labiche nous aurait nous légué une définition fort sympathique : "un égoïste est un homme qui ne pense pas à moi". Bien au-delà de cette suffisance, nous allons à la rencontre de monsieur Robert. Alors cadre de santé en l'unité de psychiatrie fermée (15), nous nous souvenons de son admission. Monsieur Robert, la quarantaine, arrive dans l'unité sous escorte policière. Il proteste, vocifère, arguant que nous ne savons pas à qui nous avons à faire. D'ailleurs si on le persécute ainsi, c'est bien parce qu'il n'est pas n'importe qui ! Levant les bras au ciel dans un geste d'éloquence, il ordonne :– Apportez moi immédiatement du papier à lettre, j'exige d'écrire au Procureur de la République, je connais mes droits !Un infirmier tente d'établir le dialogue, il est immédiatement rabroué :– Je ne parle pas au petit personnel, appelez-moi le chef. D'ailleurs êtes vous bien infirmier ?Au "chef" il accepte de livrer son anamnèse. Monsieur Robert est analyste-programmeur dans le service informatique d'une grande entreprise récemment nationalisée. Il raconte ainsi son histoire :-    Ce matin mon ordinateur est tombé en panne, juste au moment où je dois bénéficier d'une importante promotion professionnelle. C'est bizarre, surtout que juste avant j'ai vu roder Gilbert, l'air louche. C'est lui l'auteur de ce sabotage, il veut prendre ma place.Monsieur Robert a roué de coups son collègue Gilbert qui, sérieusement blessé, a été hospitalisé. -     Il n'a que ce qu'il mérite ! En plus, sous prétexte qu'il appartient à la même fédération de parents d'élève que mon épouse, il lui téléphone souvent, soit disant pour préparer le conseil de classe. Tu parles ! Ils sont amants depuis combien de temps ces deux là ?Le prénommé Gilbert et madame Robert sont clairement identifiés comme persécuteurs. Monsieur Robert persévère dans sa diatribe : – Il est de connivence avec le gouvernement socialiste, il a tout fait pour hâter la nationalisation de l'entreprise, pour m'empêcher d'être reconnu à ma juste valeur, d'accéder au poste de Président Directeur Général. Avec ses amis politiques il a monté un complot contre moi. J'étais sur le point de mettre au point un logiciel pour résoudre tous les problèmes, c'est pour ça qu'il a saboté mon ordinateur. Je suis le meilleur, il est loin d'avoir mon niveau alors je lui fais peur. S'il est condescendant avec le "petit personnel", monsieur Robert se montre volontiers obséquieux avec le chef de service. Il livre un récit plutôt bien construit, à la limite du plausible. Dans le jargon psychiatrique, nous nommons ce type de discours "délire systématisé à mécanisme interprétatif". A partir d'une sensation réelle ou un fait exact le patient échafaude un raisonnement faux. Il adhère à sa construction délirante avec une inébranlable conviction. Monsieur Robert souffre de paranoïa. Alors que faire d'une narrativité délirante dans la construction d'un soi ? Il nous faut bien reconnaître ici la caducité de notre quête. Monsieur Robert, Harpagon, deux personnes à la dérive, victimes de leur passion. Si la représentation moliéresque est volontiers hyperbolique, celle de Vincent Descombes, plus nuancée, atteste qu'il y a bien "des degrés dans le sentiment d'être soi" (16). Si un instrument existait pour mesurer le degré de la sensation d'être soi, il afficherait pour Sylvain un résultat péjoratif. Rappelons-nous sa conclusion "Bref un étudiant ce n'est plus une personne car il doit abandonner toute personnalité afin d'être le miroir des volontés de son encadrant" (17). Il nous livre là une souffrance qu'il est urgent de ne pas négliger car elle augure d'un avenir potentiellement pernicieux. Notre expérience conjuguée de formatrice et de cadre en pédo-psychiatrie nous susurre cette analogie : de même que l'enfant battu, à l'heure d'être parent, devient à son tour bourreau. De même l'étudiant maltraité, une fois professionnel, devient tyrannique. Comment expliquer ce phénomène ? Le bon sens proposerait ici qu'il s'agit d'une vengeance plus ou moins consciente, ou encore de la reproduction du seul modèle "d'amour" connu. Le Docteur Sigal, chef de service de pédopsychiatrie avec lequel nous avons eu la chance de travailler pendant quatre ans, nous propose une autre analyse du phénomène, beaucoup plus fine, nous semble-t-il. Nous vous la livrons. Parvenue à l'âge adulte, la fillette maltraitée veut être mère. Mais pas n'importe quelle mère ! Une mère exemplaire, parfaite, centrée sur son enfant. Il est tout pour elle, elle lui donne tout. Elle s'attend alors à un enfant parfait, une machine à risettes, à "areuh-areuh", un réceptacle à "guili-guili". Mais comment se fait-il qu'il pleure comme ça, sans raison, avec tout ce qu'elle fait pour lui ? Il n'a pas faim, ses fesses sont propres... A l'usure, la réponse s'impose : "Il le fait exprès !". On n'est pas loin de le secouer. Plus tard, à l'école, il n'obtient que de médiocres résultats, alors qu'il pourrait faire beaucoup mieux, son enfant parfait, à qui elle donne tout, elle qui n'a rien eu.... "Il le fait exprès, assurément !", la gifle approche ; la violence s'installe puis échappe à tout contrôle. Ce modèle serait toutefois à déconstruire, car tout enfant battu ne devient pas irrémédiablement maltraitant, tout tortionnaire n'a pas nécessairement été maltraité. Sylvain, lui, sera un bon professionnel. Il n'obligera pas l'étudiant qu'il encadre à "trouver sa place". Il allègue d'ailleurs que s'il trouve une réponse cohérente à la question de "trouver sa place" il ne manquera pas de nous en informer. Il sera un encadrant parfait, les étudiants qu'il formera seront exemplaires... Il sera parfois déçu, et cela fait poindre en nous une once d’inquiétude. Toujours est-il que, pour l'heure, Sylvain souffre de devoir jouer un rôle, de changer de personnage au gré du professionnel qui l'encadre. Nous en convenons, la chose n'est pas toujours aisée, parfois pénible mais elle peut aussi être drôle et là encore Molière l'avait magistralement compris. Il nous lègue cette scène truculente dans laquelle l'avare Harpagon s'adresse à Maître Jacques, son cocher. A moins qu'il ne soit son cuisinier.

"Harpagon. – Oh çà, maître Jacques, approchez-vous ; je vous ai gardé pour le dernier.Maître Jacques. – Est-ce à votre cocher, monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous voulez parler ? Car je suis l'un et l'autre.Harpagon. – C'est à tous les deux.Maître Jacques. – Mais à qui des deux le premier ? Harpagon. – Au cuisinier.Maître Jacques. – Attendez-donc, s'il vous plaît. (maître Jacques ôte sa casaque de cocher, et paraît vêtu en cuisinier).Harpagon. – Quelle diantre de cérémonie est-ce là ?Maître Jacques. – Vous n'avez qu'à parler.Harpagon. – Je me suis engagé, maître Jacques, à donner ce soir à souper. Maître Jacques, (à part). – Grande merveille ![…]Harpagon. – Maintenant maître Jacques, il faut nettoyer mon carrosse.Maître Jacques. – Attendez. Ceci s'adresse au cocher. (Maître Jacques remet sa casaque). Vous dites...Harpagon. – qu'il faut nettoyer mon carrosse, et tenir mes chevaux tout prêts pour conduire à la foire..." (18).

L'on aura compris que si maître Jacques a le souci de coller à son personnage du moment, ce n'est aucunement pour être agréable à Harpagon, mais parce qu'il s'amuse à être le miroir de la passion de son maître. Sylvain, lui, se dit le miroir des volontés de son encadrant, c'est pourquoi, éclairée par le jeu de Maître Jacques, nous tentons de lever son amertume. L'humour a parfois des vertus salvatrices... Plus sérieusement, si Paul Ricoeur a raison, même si tout change autour de nous, nous obligeant à jouer un rôle, à être un personnage, nos idées, principes, valeurs qui perdurent malgré les aléas de la vie, font que nous sommes toujours la même personne et qu'on nous reconnaît comme telle. C'est cela la fidélité à la parole donnée. Et Phil tiendra-t-il ses promesses ? Nous nous interrogions sur son identité, nous demandant qui est le véritable Phil ? Celui "avant-bilan" futur professionnel remarquable, en symbiose totale avec le service ? Ou celui "après-bilan" qui en est le négatif ? C'est ce dernier point de vue porté sur Phil par les soignants qui, raisonnant sur un faisceau d'indices, l'ont porté de Zénith en Nadir. Alors nous avons laissé Phil se présenter, estimant qu'il était peut-être le mieux placé pour parler de lui. Nous le concédons, notre quête est peu féconde alors posons nos pas dans ceux de Vincent Descombes : il a bien perçu notre difficulté lorsqu'il nous dit que "on voit ici se dessiner l'opposition des deux points de vues sur la personne. D'un côté, le point de vue extérieur des autres sur ma personne […] de l'autre côté le point de vue de l'individu sur lui-même, le point de vue que je suis le seul à avoir sur mon existence et mon identité" (19). Mais Phil sait-il réellement qui il est ? Là encore Paul Ricoeur (20) nous apporte un commentaire éclairant. Si tenir sa promesse est un défi au temps, il nous faut considérer la dimension temporelle, tant dans l'appréhension de la personne que dans celle de l'action. Sous sa plume, nous mobilisons alors le concept d'identité narrative, cette identité qui se construit entre "mêmeté" et "ipséité" et qui prend vie par ce qu'on (parce qu'on) raconte. Nous avons été attentive à l'enseignement dispensé à l'École éthique de la salpêtrière (21) et avons intégré que pour savoir ce que l'on est, on doit se raconter soi-même en se regardant comme si on regardait un autre. C'est du moins le sens du propos de Paul Ricoeur. Autrement dit, pour essayer de comprendre ce qu'il est, Phil doit prendre une distance par rapport à lui et se regarder à la troisième personne, de l'extérieur. Il doit donc se regarder comme autrui, cet autrui qui est là dès le départ, dont on ne peut faire abstraction. Nous n'avons pas toujours été tendre avec le législateur mais force nous est de reconnaître que la réforme de 2009, que nous avons fréquemment évoquée, a introduit dans le processus de formation une notion particulièrement féconde : l'analyse de pratique. De quoi s'agit-il ? C'est ce que nous proposons de vous exposer, car nous percevons dans ce modèle un écho à la pensée de Ricoeur.

 

L'analyse de pratique

Voici, schématiquement exposée, la méthodologie d'analyse de pratique utilisée à Archères.En premier lieu, nous demandons à l'étudiant de se raconter dans une situation où il a été acteur, et qui a suscité chez lui un questionnement ou un étonnement. Cette exercice de narration, où il se regarde de l'extérieur, nous permet de bien visualiser la scène : que s'est-il passé ? A quel moment ? Où ? Qui était présent ? Puis l'étudiant doit faire émerger le(s) motif(s) de son action, son ou ses intention(s) : pourquoi a-t-il ainsi agi, que voulait-il obtenir ? Il répond alors aux questions "pourquoi ?" et "pour quoi ?".Il s'interroge ensuite sur le "comment ?" : comment j'ai procédé exactement ? Quelles connaissances ai-je mobilisées ? Quels outils, méthode ai-je utilisés ?Le "qu'ai-je obtenu" est le résultat de son action. L'écart entre l'intention et le résultat obtenu nourrit un étonnement, Il convient alors de ne pas rester dans un constat stérile mais d'utiliser toutes les ressources possibles, humaines et matérielles, pour être en mesure de comprendre le problème posé. Il doit alors planifier ses activités d'apprentissage : à qui puis-je m'adresser ? Quand ? Quels documents peuvent m'éclairer ? En forme de conclusion, il exprime ce qu'il a retenu de cette situation et ce qui lui semble transférable pour sa pratique future.Marie, l'étudiante exceptionnellement diserte qui nous a expliqué le dispositif de formation clinique, doit réaliser deux analyses de pratique par stage. Retrouvons-la en première année. Peu rompue à l'exercice, voici ce qu'elle nous livre :-    "Ce matin, c'est Mélanie, infirmière, qui m'encadre. Un prélèvement sanguin est à effectuer sur madame B, elle me demande si je veux " me lancer". Contente qu'elle me fasse ainsi confiance, je prépare mon matériel, répète les gestes à accomplir. Puis nous nous rendons dans la chambre. Il était six heures. Je me présente à madame B et lui demande l'autorisation de réaliser ce soin. Elle acquiesce. Je m'en réjouis mais appréhende. Je me concentre sur mon soin, réaliser mon premier prélèvement sanguin avec succès résonne comme une victoire. Mes mains tremblent, je pique, je rate la veine. J'ai envie de disparaître sous terre.– Mon intention : réussir à réaliser un prélèvement sanguin.– Pourquoi ? Il faut savoir faire un prélèvement sanguin si l'on veut être infirmière. Et ça fait partie des actes de soins à valider pour le diplôme. – Quels sont mes besoins d'apprentissage ?  Apprendre à gérer mon stress, m'exercer, prendre confiance en moi. – Ce qui est transférable pour ma pratique future ? Il faut que je m'exerce". Depuis Marie s'est exercée... A réaliser des analyses de pratique. Mais convenons que l'exercice est difficile, même pour des professionnels chevronnés. Certains, dont les habitudes effrangent la conscience, s'y brûlent les ailes. D'autres, par mégarde, versent dans l'analyse de la pratique des autres. Il est malaisé de se regarder comme si l'on regardait un autre et pourtant Phil nous semble y être parvenu. Écoutons-le.

 

Un petit coup de Phil

"Actuellement en semestre cinq à l'institut de formation paramédicale de Saleron, j'ai réalisé mon stage dans un Établissement d'hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes. Implanté sur 100 hectares de parc boisé et d'étang en communion avec la faune et la flore, cet EHPAD a vu le jour grâce à l'Association des petits frères des pauvres, association créée en 1946 par Armand Marquiset qui rêvait d'une société fraternelle et solidaire, reconnaissant la place primordiale des personnes âgées dans l'équilibre social. Or celles-ci sont de plus en plus nombreuses à vivre dans la solitude, souffrant de pauvreté, de précarité et d'exclusion. C'est pourquoi dans cet établissement aux valeurs fraternelles nous pouvons compter sur de nombreux bénévoles afin de soutenir, aider et divertir nos résidents. La situation que je vais essayer d'analyser se déroule le jour de mardi gras. Pour cette journée festive nous avions organisé un après-midi déguisé, invitant résidents, bénévoles et soignants à partager un instant convivial. Autour d'un cocktail dînatoire, des musiciens nous ont offert quelques morceaux d'accordéon, ajoutant à l'ambiance festive et invitant à la danse. Tout en participant activement à l'animation, j'observais du coin de l’œil madame K, qui s'était mise à l’écart. C'est une femme de soixante quinze ans, aux cheveux gris coupés en brosse, présentant un léger surpoids mais n'ayant aucun problème de mobilisation. Surpris de cette attitude de retrait, j'interroge du regard Évelyne, une collègue aide-soignante. Elle me chuchote "t'inquiète pas, c'est normal, elle fait toujours ça dans ce genre d'animation, la timidité sans doute. Mais c'est dommage, surtout qu'elle s'implique dans l'organisation de la journée et souvent, quand on en reparle, elle regrette de ne pas avoir su s'amuser davantage". Vêtu de mon costume de Superman, je décide de voler au secours de la dame en détresse. Je m'approche d'un pas assuré, bien décidé à en découdre avec donzelle Timidité... – Pourquoi ne pas danser sur cette musique ?... Après un petit moment d'hésitation, elle me répond qu'elle ne sait pas danser, et que ce n'est pas à son âge qu'elle va commencer. Ni une ni deux, je lui rétorque que je suis moi-même un piètre danseur, surtout sur ce genre de musique, mais que je ne loupe jamais une occasion de m'amuser. Joignant le geste à la parole, je lui tend la main et l'invite à une petite valse, au milieu des autres convives. Elle ne sut m'éconduire et c'est un visage illuminé que j'ai pu contempler, avec fierté, à la fin de notre prestation. Elle ne s'enfuit pas, se mêla à la conversation des convives. Ma gloire ne fut point éphémère : aux transmissions on fit écho de mon exploit. Rétrospectivement, quelques questions me viennent : comment ai-je réussi là où mes prédécesseurs avaient échoué ? Le fait d'être un homme a-t-il favorisé mon succès ? Et si j'avais essuyé un refus ? Ma tenue de superman m'a-t-elle facilité la tâche ? L' analyse de pratique a pour objet de revenir sur une situation qui nous a questionné, d'en proposer une analyse afin d'en tirer leçon pour notre pratique future. Dans mes analyses antérieures, le décalage entre mon intention et le résultat de mon action était toujours péjoratif. Pour le dire plus simplement : je voulais bien faire mais le résultat obtenu n'était pas à la hauteur. Ici la situation est inédite, j'ai agi de manière impulsive et le résultat est au-delà de mes espérances. J'en suis le premier étonné et cela a motivé mon choix de revenir sur cet épisode et d'en proposer une analyse. Ce jour là je ne portais pas ma blouse blanche, je m'étais déguisé en personnage de fiction, le super-héros Superman, vêtu d'une grande cape rouge, un gros S sur la poitrine, le slip au-dessus du pantalon. Je n'ai pas choisi ce costume par hasard : j'étais désireux de susciter l'étonnement, le rire, la joie, ne craignant pas le ridicule. Ce ne fut pas évident de trouver un déguisement inter-générationnel, mais avec superman, créé dans les années quarante, j'étais sûr de pouvoir toucher une grande partie des résidents. Si je ne passais pas inaperçu et suscitais de nombreuses remarques, ce costume m'insufflait un super-pouvoir ; j'étais vraiment dans le rôle et j'avais toute confiance en moi : on ne refuse rien à un super-héros et surtout pas un sourire. Celui-ci s'afficha sur le visage de madame K. Courbant l'échine en forme de révérence, et me trouvant ainsi à la hauteur de son visage, (je suis plus grand, c'est normal pour un super-héros), à un mètre d'elle, j'ai fiché mon regard dans le sien, tendant ma paume pour accompagner ma sollicitation. Allait-elle me faire l'honneur de m'accorder cette danse ? -    Je ne sais pas danser, allégua-t-elle.Aurait-elle peur du ridicule ? Pas moi, et je la rassurais : si l'on devait rire de quelqu'un, ce ne serait pas d'elle. A l'école d'infirmières, je n'ai pas toujours vécu comme un atout le fait d'être un homme, en cours je me suis parfois senti très isolé parmi toutes ces femmes ; en stage, j'avais parfois le sentiment qu'on faisait plus souvent appel à mes muscles qu'à mon cerveau. Ici rien de tel, car si j'avais été une femme, dans cette ambiance de bal musette, je n'aurai pas invité une autre femme : je trouve ça triste. Où est son homme ? L'a-t-il laissé joyeusement veuve ? Alors qui fait l'homme ? Qui dirige la danse ? En admettant que je dépasse cet état d'esprit sans doute un peu macho, madame K aurait-elle accepté l'invitation d'une femme ? Et dans l'affirmative, ce serait-elle amusée en dansant avec Super-woman ? Ainsi ripolinée, Super-woman aurait-elle été aussi marrante que moi ? Au risque de paraître prétentieux, j'en doute. Je pense ici que le fait d'être un homme m'a servi. Madame K est unique et nous gardons l'un de l'autre un souvenir ému. J'ai beaucoup appris de cette expérience : agissant sans préméditation, sans me formuler mentalement d'objectif, sans inclure mon action dans la démarche de soins, bref sans réfléchir, j'ai tapé dans le mille. Il faut parfois juste se faire confiance. Les appréciations de l'équipe soignante m'ont également beaucoup touché, je me suis senti grand, pas super-héros mais presque. J'étais en paix".Quelqu'un a dit que la paix ne se raconte pas, ce n'est pas tout à fait faux, mais ce n'est pas tout à fait vrai non plus. En se racontant, Phil donne rétrospectivement du sens à une suite d'événements contingents. Ce faisant, il se montre et il nous montre à quel point il est capable de se donner. Il fut à nos yeux magnifique. Nous avions presque oublié que Phil avait été surpris en train de dormir. Alors Ricoeur a raison, c'est justement l'identité narrative qui donne à une vie faite de discordance une unité, une identité dynamique. Elle permet de concilier permanence et mouvance, tant pour les actions que pour les personnages. Certes l'être humain est en perpétuel changement, c'est d'ailleurs ce que nous signifie Montaigne dans ses Essais lorsqu'il nous dit "je ne peins pas l'homme, je peins le passage", mais il y a de la mêmeté aussi, de la permanence. Nous avons vu à ce sujet la valeur de la promesse, mais parachevons plus prosaïquement le sujet. Si l'on excepte le sang mêlé au cordon ombilical à la naissance, nous conservons notre groupe sanguin notre vie durant. De même, notre empreinte génétique semble nous être personnelle. Encore plus simplement, et sauf intervention, si l'on naît fille, on reste du genre féminin. Ce n'est pas le cas du mérou, et c'est sur cet animal que notre devoir est maintenant de réfléchir.

 

Le mérou

Le mérou est un poisson hermaphrodite protogyne, pour le dire plus simplement il change de sexe au cours de sa vie : d'abord asexué, il devient femelle à l'age de cinq ans puis mâle à partir de quinze ans. On dit qu'il peut vivre jusqu'à cinquante ans. Epinephelus marginatus (22) est son nom scientifique ; du grec Epi signifiant "sur", nephelus pour "nuage", non qu'il vive sur un petit nuage, mais en référence à sa livrée tachetée de petits flocons blancs. Marginatus vient du latin marginis signifiant bord, et renvoie au trait clair qui souligne ses nageoires. Plus simplement, nous baptisons Epinephelus marginatus Balthazar et proposons d'aller à sa rencontre dans la réserve sous-marine des îles Mèdes.Balthazar y jouit d'une belle popularité auprès des plongeurs. Peu farouche, il se montre curieux et accompagne volontiers la palanquée, passant tantôt en tête pour disparaître d'un coup de nageoire et ressurgir soudainement dans votre sillage. Il s'approche parfois si près qu'il serait possible de le caresser. Dans les années 80, des plongeurs irresponsables lui offrirent des œufs durs, enchantés de le voir ouvrir sa large bouche pour gober le présent. Ils ont provoqué chez Balthazar une hypercholestérolémie. Il est désormais strictement interdit à la main humaine de lui fournir quelconque nourriture. Si sa taille, pouvant atteindre un mètre vingt, en fait le plus grand poisson des côtes méditerranéennes, nous aurons compris qu'il inspire nulle crainte au plongeur. Une grosse tête, trouée de deux grands yeux proéminents vous fixent d'un air interrogateur. Dotée d'une vision binoculaire, ce qui est rare pour un poisson, il peut évaluer très précisément la distance qui le sépare de l'objet de sa convoitise. Une large bouche bordée de lèvres trop charnues lui donne l'air de bouder. Balthazar est irrésistible. Il a toutefois ses humeurs, mais il prévient, ouvrant largement la bouche, hérissant sa nageoire dorsale, arborant une livrée sombre. Eh oui, à l'instar d'Octave, Balthazar peut changer de manteau, soit pour manifester son mécontentement, soit pour se camoufler. Un brin casanier, il part peu à l'aventure et préfère défendre son territoire. Caché dans les failles rocheuses ou tapi sur le fond marin dont il adopte la couleur, il peut rester inerte. Ce n'est pas qu'il soit nonchalant ou endormi, il s'embusque, aussi patient qu'un pêcheur à la ligne. Balthazar est énorme, mais lorsqu'il souhaite passer inaperçu, seul un œil exercé peut le repérer. Il chasse surtout au crépuscule, avec un coût de fourchette pantagruélique et un goût immodéré pour le poulpe, qu'il gobe littéralement en ouvrant toute grande sa bouche volumineuse Si le lecteur a résisté à l'assoupissement généré par la tonalité soporifique du documentaire animalier, il aura sans doute à cœur de savoir ce que Balthazar vient faire dans notre affaire. Un cheveu sur la soupe ? Assurément non, Balthazar est présent depuis le début de notre réflexion, tellement énorme qu'on en oublie être dans ses entrailles. Balthazar est l'Institution hospitalière qui, voulant montrer la nuit sous son meilleur jour, a doté chaque unité de soins de fauteuils de relaxation afin que les infirmiers en service de nuit puissent se reposer.

 

Notes :

(1) Descombes V. Les embarras de l'identité, op. cit., p 71.(2) Plutarque, Les vies des hommes illustres, Grecs & romains, comparees l'vne auec l'autre, traduit par Amyot J., de l'imprimerie François Perrin, 1866, pp. 6-7, § E-F.(3) Plutarque, Vies des hommes illustres, traduit par Pierron A., Paris, Charpentier, 1853, livre numérisé par google, [en ligne], <http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/theseepierron.htm>.(4) Ricoeur P., Soi même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 151.(5) Id. p. 140.(6) Ibid. p. 148.(7) Kant E., Fondements de la métaphysique des mœurs, op. cit., pp. 69-70.(8) Kant E., Critique de la raison pure, Paris, PUF, 2012, p. 234.(9) Fiat E., "Kant", cours dispensé au Master d'éthique UPEM, Paris, La Salpêtrière, 11 décembre 2014.(10) Migne J.P., Dictionnaire universel de mythologie ancienne et moderne, op. cit. colonne 423.(11) Ricoeur P., Soi même comme un autre, op. cit. p. 149.(12) Sylvain, "Parce que l'étudiant est aussi une personne...", in Sérum, op. cit. p. 13.(13) Molière, L'Avare, Paris, Hachette, 1891, Acte IV scène VII, pp. 167-168.(14) Arendt H.,Condition de l'homme moderne, Calmann-Lévy, Pocket, Paris, 1994 , p. 303.(15) A Archères, ces unités de soins accueillaient les patients hospitalisés contre leur gré.(16) Descombes V., Les embarras de l'identité, op. cit. p. 44.(17) Sylvain, "Parce que l'étudiant est aussi une personne...", op. cit. p. 13.(18) Molière, L'Avare, op. cit., Acte III scène V, pp. 108-114.(19) Descombes V., Les embarras de l'identité, op. cit. p. 101.(20) Ricoeur P., Soi même comme un autre, op. cit., p. 137.(21) Quentin B., "Analyse critique du concept de déterminisme", cours dispensé au Master d'éthique UPEM, Paris, La Salpêtrière, 9 avril 2015.(22) Doris, Epinephelus marginatus, -Fédération Française d'étude et de sport sous marin-biologie et plongée, [en ligne] <http://doris.ffessm.fr/fiche2.asp?fiche_numero=474>, (consulté le 10 juin 2015).