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Le colloque 2015 : "OU EST LA SAGE-FEMME ?"

Le vendredi 27 mars 2015 et le samedi 28 mars au matin s'est tenu à l'ASIEM à Paris un passionnant colloque : "Où est la sage-femme ?" II Révolution de la procréation.

Ce colloque s’interrogeait notamment sur la place de la sage-femme devant la révolution des modes de procréation auxquels nous assistons.


Dans son introduction Hélène de Gunzbourg revendiquait l’idée que ce n’est pas la famille qui est détruite par les révolutions actuelles mais que ce sont plutôt de nouvelles formes familiales qui apparaissent.

 

 

Sur la photographie : David SMADJA- Hélène de GUNZBOURG - Jacques TESTART - Anne LÉCU

 


L’historienne Scarlett BEAUVALET de l’Université de Picardie nous a raconté les péripéties des luttes et revendication des sage-femmes entre le dernier tiers du XIXe s et le premier tiers du siècle suivant.
    Défense de la profession contre les matrones – celles qui faisaient majoritairement accoucher dans les campagnes avant la création du diplôme de sage-femme.
    Souci d’entretenir de bonnes relations avec les médecins tout en repérant qu’avec l’augmentation des compétences théoriques des sages-femmes une délimitation des attributs des uns et des autres devient parfois difficile. Les médecins avaient jusque-là le monopole de l’emploi des instruments pour l’accouchement et pourtant on distribue à Port-Royal des forceps aux sage-femmes comme prix de fin d’année… Arrive alors la thématique de l’avortement, car c’est bien à ce niveau que l’on craint l’influence montante des sage-femmes.
    A la question de leur dénomination, les sage-femmes continuent à revendiquer ce terme plutôt que celui d’ "accoucheuse" : toute personne peut être accoucheuse mais pas sage-femme. La sage-femme sait en effet ajouter à l’acte en question, l’art de la psychologue, de la confidente, du soutien de la femme en difficulté et tout le long de la grossesse.

Chantal BIRMAN après une vie entière de sage-femme revient sur le mouvement de libération des femmes et ce qui a amené à légaliser l’avortement en France. Elle rappelle, en sachant faire partager son émotion aux plus jeunes, les différents épisodes qui se sont succédés entre 1967 et aujourd’hui. Les revendications qui ont été le plus souvent portées par les sage-femmes n’étaient pas des revendications corporatistes mais bien des revendications pour toutes les femmes.

Bénédicte ROUSSEAU sociologue et enseignante à science-Po nous a ensuite fait part de son regard sur les changement dans la procréation. Avant on allait voir son gynécologue pour lui demander "comment ne pas avoir d’enfant ?". Elle s’est surprise à voir une amie mariée de 27 ans, sans problème de fertilité, demander à son gynécologue : "comment avoir un enfant ?". Les temps ont changé. L’acquis de la contraception a modifié en quelques décennies la manière de concevoir la procréation. Les tests de dépistage anté-natal amènent une très grande majorité d’IVG non pour des raisons personnelles, mais "pour raison fœtale". Les risques de maladie héréditaire, de handicap mental ou physique de l’enfant sont mis en avant. Avec une prédiction qui n’est pas parfaitement fiable et qui provoque bien des dégâts : Des "faux positifs" et "négatifs" non négligeables qui inquiètent inutilement certaines femmes et en rassurent d’autres de manière non légitime. Les "faux positifs" inoculent chez les parents une inquiétude définitive devant toute information dite "scientifique". La présentification du fœtus par la radiographie moderne a en tout cas amené ce que la philosophe allemande Barbara Duden a appelé "l’invention du fœtus". Ce "fœtus-patient" qui peut devenir très intrusif pour la femme. La question a été posée : la santé des femmes n’intéresse-elle plus qu’en fonction des futurs citoyens qu’elles sont amenées à porter ? La sage-femme a en tout cas le rôle difficile de rester neutre et d’informer dans les cadres de suivi de grossesse.

Jacques TESTART nous a alors parlé lui aussi de cette révolution dans la procréation. Avec des références techniques précises. L’invention en 1996 de la technique de l’injection d’un spermatozoïde directement dans l’ovule a amené à ce que puisse être sélectionné un spermatozoïde qui antérieurement n’aurait jamais pu atteindre l’ovule (ex : un spermatozoïde immobile) et pourtant cela ne donne pas d’enfant "anormal". Cette technique amène à une forme de "parité génétique" : un spermatozoïde pour un ovule, alors qu’antérieurement c’était des millions de spermatozoïdes qui étaient confrontés à un seul ovule. Si le clonage et la transgenèse (chère aux transhumanistes) sont pour Jacques TESTART bien souvent des délires sans avenir au XXIème siècle, le diagnostic préimplantatoire risque fort d’être la révolution universelle de notre siècle. Le problème entrevu par le biologiste est que nous sommes insensiblement en train de passer d’un diagnostic préimplantatoire pour éviter des maladies graves à un diagnostic visant à supprimer le simple risque de maladie grave ou à choisir des caractéristiques précises du bébé sans qu’il n’y ait de facteur de gravité. Le choix du sexe est autorisé aux Etats-Unis. Depuis 2012 les Anglais acceptent que l’on trie les bébés à naître pour supprimer le strabisme à la demande des parents. Chercher le meilleur n’est pas la même chose que vouloir éviter le pire. Les parents vont mettre un poids énorme sur les épaules des enfants futurs pour lesquels ils auront tant "investi". Ces tendances semblent très fortes pour un Jacques Testart qui prédit que "tous les enfant seront conçus en laboratoire avant la fin du siècle". Seuls quelques écologistes continueront à vouloir une procréation naturelle mais ils ne seront plus assurés par personne. Le risque que l’espèce humaine court est celui de la réduction de la diversité humaine. Cela pourrait bien amener une fragilité génétique de l’ensemble de notre espèce l’empêchant de passer outre certaines crises de l’avenir. Le biologiste français revendique donc des "droits de l’humanité" prévalant sur les "droits de l’homme" et permettant de refuser des directions allant à l'encontre du bien commun.

David SMADJA nous a alors proposé de "penser la sage-femme avec Hans Jonas". Avec Hans Jonas, parce les philosophes ne nous dédouanent pas d’avoir à penser. Hans Jonas fait apparaître une transmutation de la sphère privée. Une politique ordinaire se fait jour, dans des situations qui antérieurement n'apparaissaient pas politique (choix sur son corps, sa procréation, sa famille). Il s’agit donc d’une politisation, d’une éthicisation de la sphère privée, d’une redistribution du clivage privé/public. Jonas a été marqué par deux éléments : la persécution qu'il a subi comme citoyen allemand d'origine juive qui lui a montré dans ces "sombres temps", ces temps d’obscurcissement du domaine public, un temps où le "public" semble disparaître. Nous croyons nous être défaits du nazisme et pourtant quelque chose "cloche" dans notre civilisation technologique : un vide éthique avec un caractère inédit de la civilisation technologique : pour la première fois l'homme est en mesure de se détruire. Le deuxième élément majeur pour Jonas a été sa découverte de la problématique médicale de l’expérimentation sur l’humain. Dans "The phenomenon of life" (écrit en anglais) en 1967 dans la revue Dedalus, Jonas amenait une "biologie philosophique" et connaissait un immense succès auprès des médecins américains. La position de Jonas peut être présentée comme conservatrice : il existe une nature humaine qui possède une valeur intrinsèque (indépendamment du fait qu'il puisse y avoir un sujet sous-jacent capable ou non de donner un consentement). Il ne s’agirait pas ici d’un débat sur les mœurs avec le traditionnel clivage traditionnaliste/progressiste mais de la mise au jour d’une spécificité des questions amenées par la technique : le refus de modifier l’homme ne relève pas ici d’une pensée religieuse. Dans Le Principe Responsabilité, le paradigme pour penser la responsabilité c'est le rapport au nourrisson. Ce qui nous commande ce n'est pas le nourrisson en tant que sujet rationnel, c'est sa simple respiration. Nous n'avons pas besoin de postuler un sujet pour respecter la vie.

Anne Lécu religieuse dominicaine et médecin en prison de femmes, nous a apporté un moment de fantaisie tout en étant très sérieusement documentée : la procréation qui est bien souvent présentée dans un discours religieux ambiant comme dépendante d’un modèle familial strict "mari-femme, enfants au sein d’un mariage unique" vole en éclat lorsque l’on est attentif à la lettre des textes de l’Ancien et du nouveau Testament. Nombre sont les matriarches (Sara, Rebecca, Rachel, Anne) qui ont eu beaucoup de mal à enfanter et qui l’ont fait par des voies détournées. Les servantes passent par-là et les enfants sont reconnus néanmoins… Jésus lui-même lorsqu’on étudie sa Généalogie dans l’Evangile est issu d’une ligne où l’on trouve de l’adultère (Betsabé), des prostituées (Tamar, Rahab) et des étrangères (Ruth). Il n’y a donc pas dans la Bible de cellule famille exemplaire, mais la vie circule quand-même. Le travail de l’homme semble être d’enfanter en nous le Verbe, d’avoir à "devenir fils". L’inquiétude devant la révolution de la procréation est que la technique puisse vouloir nous dispenser de devenir fils.