Par Gérard FITOUSSI
Gérard Fitoussi est médecin généraliste et travaille dans le champ de l’hypnose et de la douleur en centre de santé et en centre hospitalier (CHU H. Mondor)
Article référencé comme suit :
Fitoussi, G. (2025) « Vers un nouvel équilibre dans la consultation de médecine générale : que faire d’un « À part ça, tout va bien » ? » in Ethique. La vie en question, oct. 2025.
Introduction
« À part ça, tout va bien ». Lorsque M. A se présente à la consultation de médecine générale, il souhaite obtenir un certificat médical sportif et une prescription pour des séances d’orthoptie. Négligemment, il ajoute : « À part ça, tout va bien ». Cet ajout, a priori anodin et inutile, déclenche néanmoins une alarme et perturbe le scénario écrit d’avance d’une consultation qui s’annonçait comme « simple », chez cet homme d’une trentaine d’années sans souci de santé particulier ni antécédents notables.
Que signifiait ce « « à part ça, tout va bien » ? Que recouvrait-il, ne laissait-il pas entendre, qu’en réalité « tout va mal » ? Indique-t-il que quelque chose n’allait pas et la présence d’un malaise plus profond ?
Et dans ce cas, comment franchir cette barrière invisible entre ce qui est dit explicitement et ce qui reste tu ?
Comment passer lors de la consultation, du versant strictement somatique, exigé par le patient et correspondant à sa demande explicite — prise de la tension artérielle, auscultation, évaluation de l’équilibre et de la mobilité articulaire, vérification des antécédents médicaux, puis délivrance du certificat médical— à une consultation explorant les éventuels mobiles psychiques et sociaux dissimulés derrière ce « à part ça, tout va bien », qui laissait augurer des problématiques plus complexes.
Comment établir un pont entre ces deux registres chez un sujet qui semblait souhaiter s’en tenir à une consultation limitée aux objectifs qu’il a lui-même définis préalablement ? En tant que professionnel, faut-il s’en tenir strictement à la demande explicite où aller plus loin ? Si oui, comment procéder ?
La spécialité de médecine générale est perçue comme une discipline axée sur le versant somatique, en raison de la formation hospitalo-universitaire des médecins généralistes. Les patients, ayant intégré cette conception de la pratique généraliste, formulent fréquemment leurs demandes initiales sous forme de plaintes somatiques, comme c’est le cas ici, avec la demande d’un certificat médical et de séances d’orthoptie.
De multiples études ont pourtant montré que nombre de ces demandes sont liées à une problématique psychosociale, particulièrement en médecine générale (1).
Le médecin généraliste se retrouve dès lors confronté à une triple injonction : d’une part, répondre à des demandes implicites d’ordre psychosocial, d’autre part, d’être confronté à une reconnaissance limitée de ses compétences dans ce domaine, tout en se devant d’être vigilant pour ne pas négliger une lésion organique toujours possible.
Dès les années 1950, le médecin anglais Michael Balint soulignait que les dimensions psychosociales et psychosomatiques constituent des aspects essentiels de la médecine générale. Selon lui, il incombe au médecin généraliste de les prendre en charge, en dépit de l’étonnement du malade.
En effet, ce dernier s’attend, au cours d’une consultation de médecine générale, à obtenir un diagnostic, un traitement voire à être orienté vers un spécialiste, mais ne s’attend pas à un entretien prolongé et à l’exploration des ressorts psychologiques de sa demande (2).
Pour en revenir à la consultation de M.B, à l’issue de celle-ci, et au terme d’un entretien approfondi, il est apparu que les difficultés qu’il traversait étaient sérieuses et multiples : séparation conjugale, manque de reconnaissance professionnelle, mais surtout suicide récent d’un frère et ses propres tentatives de suicide.
Une écoute attentive, un questionnement respectueux ont permis de mettre en lumière le décalage significatif entre la demande initiale du patient et les éléments recueillis au fil de la consultation.
Parcours du somatique au psychique
La position philosophique du médecin
Ne pas se satisfaire d’en rester à la demande initiale et à l’aspect strictement somatique exprimé par le patient, surtout lorsqu’un lien avec des problématiques psychologiques et sociales est suspecté, relève pour le médecin d’une position philosophique. Cette position, explicite et réfléchie ou implicite, aura des implications différentes selon que l’approche du médecin est dualiste ou moniste.
Dans une approche dualiste, le médecin peut choisir de se concentrer exclusivement sur le corps, l’organique, le somatique, et déléguer à d’autres professionnels ce qui n’en relève pas.
À l’inverse, dans une approche moniste, il considérera qu’il ne peut séparer le mental de l’organique, pas plus qu’il ne peut isoler le patient de son inscription dans un contexte de vie globale. Dans ce cas, le médecin estimera qu’il est de son rôle de prendre en considération ces différentes dimensions et d’accompagner le patient de manière approfondie.
Platon dans le Charmide (3) avait déjà évoqué cette distinction. Il attribuait aux médecins grecs une prise en charge centrée sur l’aspect local et organique, et l’opposait à celle des médecins thraces, lesquels considéraient la personne dans sa globalité.
Ce qui nous intéressera ici est d’explorer l’interstice, l’intervalle qui relie autant qu’il sépare la présentation somatique et la demande initiale du patient, de l’exploration d’une cause psychosociale sous-jacente.
Quelles sont les conditions à réunir pour passer du somatique au psychique ? De quelle façon effectuer le passage, à quel moment et quels problèmes cela soulève-t-il ?
Quelles conditions réunir pour passer du somatique au psychique
Passer du champ somatique au champ psychique ne va pas de soi lors d’une consultation de médecine générale. Si le médecin adopte une position moniste, considérant qu’il est de son rôle d’aller au-delà de la plainte somatique exprimée par le patient, il lui faudra mobiliser un ensemble de compétences et de prérequis.
Parmi ces conditions, la compétence pour aborder les aspects psychiques et sociaux est primordiale. Or, cette compétence est rarement acquise au cours de la formation initiale des médecins, malgré des avancées réelles, mais encore insuffisantes (4).
Il est également essentiel d’établir une relation de confiance avec le patient, l’encourageant à dépasser sa demande initiale et à révéler ce que certains appellent son « agenda caché », ce d’autant que le patient, ayant intégré la parcellisation de la médecine, pense qu’il ne peut adresser à son médecin généraliste que des plaintes somatiques, réservant à d’autres ce qui le préoccupe au niveau psychique et relationnel.
Enfin, des conditions matérielles sont indispensables : le temps et l’espace disponibles pour permettre au patient de se sentir suffisamment en sécurité pour qu’il puisse libérer sa parole.
Lorsque ces prérequis sont réunis, le médecin peut s’appuyer sur l’expérience acquise et son intuition pour entendre ce qui n’est pas dit, ce qui se dissimule entre les mots, entre les lignes, comme c’était le cas dans cette consultation avec ce « à part ça tout va bien ».
Par quelle question commencer
Michel Foucault, dans Naissance de la clinique (5), analyse la formation de la médecine clinique ainsi que les transformations qui se produisent à la fin du XVIIIe siècle. Selon Foucault, chaque période de l’histoire de la pensée médicale, est caractérisée par une épistémè spécifique, c’est-à-dire un ensemble de conditions historiques rendant possible, pour chaque période, une évolution dans la manière de considérer le malade et la maladie.
Chaque époque se traduit en particulier par un détail, « infime et décisif », comme dans la façon d’interroger le patient. Ainsi, écrit Foucault, la première question posée par le médecin au patient diffère pour chaque période. À la question « « Qu’avez-vous ? » a succédé la question « Où avez-vous mal ? », localisant le mal dans une partie précise du corps, que le médecin analysera, interprètera et reliera à d’autres symptômes pour poser son diagnostic et proposer un traitement.
Mais, face à un patient sujet à des douleurs chroniques, une telle question fragmentant, parcellisant le corps, aboutit souvent à une réponse convenue du patient, une réponse qu’il a déjà donnée mille fois et qui, à la question posée, donnera la réponse attendue et rien d’autre.
Il est important de noter, qu’au fil des années, le médecin généraliste, initialement médecin de premier recours, se retrouve souvent être non pas le premier, mais plutôt le dernier recours.
Le patient s’adresse à lui après avoir parcouru un chemin en sens inverse, consultant d’abord des spécialistes, voire des professionnels de pratiques non conventionnelles avant de finalement revenir auprès de son médecin généraliste, souvent désabusé, montrant d’un geste las un volumineux dossier et déclarant : « on ne m’a rien trouvé et pourtant mon problème persiste. »
Dans ce contexte, le médecin généraliste doit reprendre les choses à leur commencement, et revenir, non « aux choses mêmes », mais au « patient même ». La première question posée peut alors être : « Parlez-moi de vous, de votre histoire, de votre vie. »
En posant cette question, le médecin, parfois sans en avoir pleinement conscience, déstabilise le patient. Il l’amène à effectuer un pas de côté, à s’extraire d’un discours bien rodé, construit autour de sa symptomatologie.
Le patient, qui va de professionnel de santé en professionnel de santé, a souvent exposé sa symptomatologie, répondu aux questions des médecins et développé une narration répétitive de ses symptômes, avec des réponses attendues à des questions non moins attendues : « Où, avez-vous mal ?» « À quel moment avez-vous mal ? » « Depuis quand ?» ou encore « Quels traitements avez-vous déjà effectués » ?
Cette connaissance du « théâtre médical », acquise au fil des consultations et de son errance dans le monde de la santé, fait du patient un « quasi-professionnel de la médecine », capable de répondre mécaniquement aux mêmes interrogations.
Dire au patient « Parlez-moi de vous », brise le schéma habituel. Cette question inattendue, sidère le patient pendant un instant : il ne la comprend pas immédiatement, et en même temps se sent flatté — « On s’intéresse à moi », et intrigué se demande : « En quoi ma personne est-elle intéressante ? En quoi mon histoire, ma vie, ma pauvre vie, banale et sans aspérités », peut-elle intéresser le médecin ? Quel est le lien avec ma douleur ? En quoi cela va-t-il me soulager ?
Ces interrogations inattendues, muettes, fugitives qui traversent l’esprit du patient, se manifestent par un silence, un trouble et une suspension de la parole. Puis, laissent la place à une réponse spontanée, non préparée, commençant souvent par : « Que voulez-vous savoir docteur ? Je ne sais pas vraiment quoi dire ».
Face à l’insistance silencieuse et respectueuse du médecin, signifiant qu’il peut tout entendre, sans juger, sans mépriser, sans être rebuté, la parole du patient peu à peu se libère. Elle finit par aller à l’essentiel, dévoilant des éléments cachés, refoulés ou inexprimés jusque-là.
Quand commencer ?
Lorsqu’une phrase, une intonation, une discordance apparaît entre les propos du patient et son attitude, une alarme se déclenche chez le médecin. Une intuition, fruit de l’expérience et du savoir, lui indique que quelque chose cloche, que quelque chose ne va pas.
Le praticien doit-il explorer immédiatement ce qui l’a alerté ou doit-il laisser la consultation suivre son cours habituel et commencer par l’anamnèse et l’examen clinique ? Puis, l’examen terminé et après avoir signifié au patient que tout semble « normal », réassurance qui apaise le patient et abaisse ses défenses, poursuivre en le questionnant sur ce qui l’a intrigué ?
Ou au contraire, le praticien doit-il intervenir dès que l’alarme a retenti, avant même l’examen clinique ?
Il n’existe pas de réponse tranchée. Au praticien, en fonction de son savoir, de son expérience, de ce qu’il connaît du patient de saisir l’instant fugace, fragile, éphémère où il perçoit que « c’est le moment » - le fameux kairos - pour intervenir.
Ce qui importe finalement, c’est d’offrir la possibilité au patient de dire ce qu’il a à dire sans avoir envie de le dire, à moins qu’il ne ressente que le médecin a véritablement envie de l’entendre.
Comment faire ?
Il faudra au médecin trouver le juste milieu entre indifférence et intrusion. La parole du patient est parfois si imperceptible, qu’elle peut être inaudible et passer inaperçue du médecin qui peut ne pas l’entendre s’il n’y prête pas attention, ou bien ne pas vouloir l’entendre par choix.
À l’opposé, une attitude intrusive peut également poser un problème : après tout le patient n’était pas venu pour ça, pour se livrer, se délivrer de secrets dont il peut se sentir avili ou coupable.
S’il décide d’entendre la parole du patient, de la prendre en considération, il faudra au médecin se hâter lentement , prendra le temps nécessaire et faire preuve de ruse et d’humilité pour ne pas heurter le patient.
Dans ces circonstances, un questionnement ouvert est précieux, demandant : « Que voulez-vous dire par là ? » « Êtes-vous sûr que… ? » « Avez-vous pensé à … ? ».
Surtout, le médecin devra être à son tour patient et savoir attendre. Attendre une réponse qui ne vient pas toujours immédiatement, qui fait des détours, s’élance vers des propos convenus, tout en restant au bord de l’essentiel. Le patient observant du coin de l’œil le médecin, vérifiant qu’il est réellement attentif, prêt à l’écouter. Il ne livre pas immédiatement ce qui le tourmente, cherchant d’abord à s’assurer que sa parole douloureuse sera entendue.
Si la confiance s’installe, vient le moment où le patient se livre, s’ouvre et partage ce qui le préoccupe, le taraude, parfois depuis si longtemps. Il dévoile le drame qu’il a tenté de cacher, de masquer, d’ensevelir, mais qui demeure là, présent, tapi en son for intérieur attendant la parole libératrice.
Passage du somatique au psychique
Passer d’un registre à l’autre, du somatique au psychique, revient pour le médecin, à franchir une frontière, à quitter un territoire connu, où il a ses repères, ceux de la clinique, des examens complémentaires, des questions précises à poser et des réponses, tout aussi précises attendues en retour, pour s’aventurer en territoire inconnu.
Ce territoire, il le devine - étant lui-même homme - mais il ne le connaît pas. Il doit s’y mouvoir avec prudence, éviter les faux pas et les maladresses involontaires, avancer progressivement, attendant d’y être autorisé, souvent de manière tacite, par le patient.
Avant la bascule
Lorsque le patient, suffisamment en confiance, commence à se livrer, sa parole peut être précédée d’un long silence, semblable à celui d’un athlète qui se concentre et se prépare à un saut dans le vide, avant enfin de s’élancer.
Parfois, ce dévoilement est précédé de quelques mots, « Bon, je peux bien vous le dire… » ou « Si vous pensez que c’est nécessaire… » Ces phrases, anodines en apparence, sont en réalité des signaux. Elles sont, comme une façon de dire, « Je vous préviens », « Vous l’avez voulu », « Faites attention à ce que vous allez entendre ». Elles préviennent que l’entretien va franchir une étape, qu’il va basculer, quitter le registre de l’admissible, du connu, du tolérable pour pénétrer dans celui de l’inadmissible, de l’intime, de celui que l’on ne dévoile pas habituellement, de celui que l’on tait, que l’on a gardé par devers soi, par pudeur, par honte ou par culpabilité.
La bascule, c’est ce moment si particulier où la parole se libère, où elle se précipite, comme si une digue avait cédé et qu’elle ne peut plus être retenue.
Elle marque un tournant, un basculement dans la relation médecin-malade. La relation cesse d’être strictement professionnelle et se transforme en une relation d’humain à humain. C’est le moment où le médecin n’est plus le spécialiste, le technicien des corps, assis derrière son bureau, bien installé dans son savoir, mais un homme aux côtés d’un autre homme, accueillant sa parole, son intimité et qui reconnaît en lui un « frère humain » (6). C’est le moment où la froideur clinique laisse la place à une chaleur d’humain à humain.
Après la bascule
Une fois la parole libérée, étape privilégiée où la relation médecin-malade change, le médecin peut être bouleversé par ce qu’il vient d’entendre, tandis que le patient est enfin soulagé, d’avoir partagé son fardeau.
Il est alors essentiel pour le médecin de ne pas vouloir aller trop vite et comme le rappelait Descartes de se méfier de la précipitation, de croire que « ça y est », que l’on a abouti. Mieux vaut faire preuve de prudence et de patience, attendre que l’émotion qui accompagne la libération de la parole s’apaise.
Ce n’est qu’après, le calme retrouvé, que la raison reprendra ses droits et transformera ce qui a été révélé en quelque chose d’autre, en une étape différente du soin, apportant un véritable soulagement au patient.
Trois ultimes interrogations
Dans les situations où la demande du patient est implicite, où son « agenda caché » se laisse deviner entre les lignes, le médecin généraliste est confronté à plusieurs interrogations : celle de sa légitimité à intervenir, celle de la nécessité d’explorer ce qui n’est pas explicitement exprimé, et celle du consentement.
Légitimité
Le médecin généraliste n’est ni psychologue ni psychiatre, mais sa pratique le confronte fréquemment à des plaintes comprenant une forte composante psychosociale. Le patient est parfois surpris lorsque le praticien l’interroge sur les considérations sous-jacentes de sa plainte : cela peut aller de « c’est curieux que vous me demandiez cela, vous n’êtes pas psychiatre pourtant » à « cela me fait du bien que vous me posiez cette question, je n’osais pas vous en parler ».
Écouter ce qui n’est pas dit, prononcer les mots justes au bon moment, savoir quand et surtout comment passer des symptômes somatiques à l’exploration des causes sous-jacentes sont des compétences qui ne s’improvisent pas. Une formation adaptée est nécessaire pour acquérir ces aptitude, sans pour autant que le médecin généraliste ne devienne ce que M. Balint qualifie de « psychiatre au rabais » (7)
Nécessité
En choisissant de ne pas prendre en compte les problématiques psychosomatiques, le médecin généraliste risque de laisser le patient dans un véritable « vide institutionnel » (8).
Ces patients, intéressent peu les médecins somaticiens, car ils ne présentent pas de lésions organiques clairement identifiables. Ils n’intéressent pas davantage les psychiatres en nombre insuffisant, à l’emploi du temps surchargé et accaparés par la prise en charge de patients aux pathologies graves comme l’autisme, la schizophrénie, l’anorexie ou les addictions — autant de patients nécessitant une expertise spécialisée.
Dès lors, ces patients, « ping-pong » (9), se retrouvent bien souvent à consulter des professionnels adeptes d’approches non conventionnelles. Ces derniers, bien qu’offrant parfois des solutions temporaires ou dépourvues de fondement scientifiques, ont cependant le mérite d’accorder du temps et de l’attention à leurs plaintes.
Consentement
L’interrogation la plus délicate est celle du consentement du patient. M. B., venait consulter pour une demande qu’il concevait comme simple et circonscrite. Cependant, le médecin par son examen et son questionnement, a exploré des aspects que le patient ne souhaitait peut-être pas aborder et qu’il n’était pas prêt à affronter.
Était-il légitime de le pousser dans ses retranchements, d’explorer ce qu’il avait choisi, consciemment ou non, de taire ce jour-là ?
Le médecin doit constamment évaluer jusqu’où il peut aller, sans franchir la limite entre une aide bienveillante et une intrusion non désirée. L’attention aux réponses de patient, à ses réactions, à sa parole, à ses silences, sera cruciale pour déterminer s’il convient d’aller plus loin ou de s’arrêter. Le mutisme, la réticence à parler ou, au contraire, un soulagement perçu sont autant d’indicateurs implicites du consentement du patient à se dévoiler.
Conclusion
Au-delà des savoir-faire et savoir-être du médecin, le passage du somatique au psychique soulève de nombreuses questions. Pour se guider, le médecin s’attachera à respecter le primum non nocere (« d’abord ne pas nuire ») et à l’observation du patient afin que son désir de bien faire ne conduise pas à une aggravation de la situation en allant au-delà du nécessaire.
Selon Platon, les médecins disposent de cinq types de thérapeutiques : « la pharmaceutique, la chirurgicale, la diététique, la nosognomique et la boéthétique » (10). Ce dernier terme, fait référence à l’idée de secours, d’assistance, d’aide, de « donner ses soins à un malade », répondre à son appel, à son cri (boé).
Sans opposer la médecine spécialisée de l’organe à la médecine centrée sur l’humain - chacune mettant du sens dans le chaos des maladies présentées (11) - il est essentiel de trouver un nouvel équilibre, recherché tant par les professionnels de santé que par les patients.
Bibliographie
- Kandel O., Ferru P., Chouilly J., Jouteau D., Pour un retour au raisonnement clinique ou comment apprivoiser l’incertitude diagnostique, Paris, SFMG, GM Santé, 2019, p. 63.
- Balint M., Le médecin, son malade et la maladie, Paris, Payot, [1957], 1996, p. 240.
- Platon, Charmide, 156c-157c.
- Kieffer V., Quelle formation pour le médecin généraliste psychothérapeute de fait ? thèse, Univ.de Lorraine, Sciences du Vivant [q-bio]. 2010. hal-01732861
- Foucault M. Naissance de la clinique, Paris, PUF, [1963], 2015.
- Albert Cohen, Ô vous, frère humains, Paris, Gallimard, 1972.
- Balint M., Le médecin, son malade et la maladie, Paris, Payot, [1957], 1996 p. 303.
- Dantzer R., L’illusion psychosomatique, Paris, Points-Seuil, Essais, 1989.
- Lilas Pepy, https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/07/01/troubles-neurologiques-fonctionnels-les-patients-en-mal-de-reconnaissance_6245881_1650684.html
- Laërce D., Vies et doctrines des philosophes illustres, Paris, Le Livre de Poche, La Pochothèque, 1999, p. 451.
- BalintM. & E., Techniques psychothérapeutiques en médecine, Paris, Payot, Pbp, [1961], 1996,p. 167.