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Proposition d'un cheminement

Gestation Pour Autrui : proposition d'un cheminement de pensée

Par Hélène de GUNZBOURG

 

"Gestation Pour Autrui : proposition d'un cheminement de pensée"

 

L'actualité en question : Un essai de questionnement éthique à propos de la Gestation Pour Autrui.

L'auteure :

Hélène de GUNZBOURG a été sage-femme pendant trente-cinq ans (et d'abord à l'hôpital Antoine Beclère au moment de la naissance d'Amandine le premier bébé Fiv en 1982).
Elle a soutenu une thèse de doctorat à Paris-Est Marne-la-Vallée en décembre 2011 intitulée : "Projeté dans le monde - vers une éthique de la sage-femme". Elle donne actuellement à Paris des cours d'enseignement éthique aux étudiantes sages-femmes (école de Baudelocque et de Saint-Antoine).


La Rédaction d'ETHIQUE. LA VIE EN QUESTION, ne prétend pas délivrer une pensée orthodoxe, correspondant à une ligne éditoriale figée et en particulier pour cette question difficile de la GPA qui entre dans le débat public.
Nous pouvons ne pas partager tous les éléments de l'analyse qui suit, mais nous saluons avant tout une pensée qui se cherche avec humilité mais exigence. Un esprit philosophique souffle ici. C'est bien cela l'Ecole éthique de la Salpêtrière…




La possibilité de la Gestation Pour Autrui (GPA) est une question récurrente depuis une trentaine d'années, c'est-à-dire depuis que la procréation fut externalisée des corps, que la sexualité et l'engendrement furent techniquement séparés et pas seulement symboliquement comme ce fut toujours le cas. Elle fit couler beaucoup d'encre qui mobilisa écrivains, philosophes, scientifiques, juristes, politiques et "experts" des comités d'éthique. Elle est désormais brutalement réactivée par la demande des hommes homosexuels communément nommés "gays" de pouvoir légalement bénéficier de cette possibilité dès lors que les femmes lesbiennes pourraient elles-mêmes avoir le droit à la "PMA", ou plutôt au don de sperme, comme les autres couples hétérosexuels ou présumés tels et dits "stériles".
Ma réflexion en tant que sage-femme me conduisait jusque alors à ne pouvoir accepter moralement la gestation pour autrui, mais les événements politiques de ces dernières semaines et l'exaspération des propos de ceux qui veulent  interdire aux homosexuels  d'avoir des enfants et de les élever m'ont indignée et m'ont conduite à reprendre ma réflexion ou plutôt à la commencer, car jusque alors je la croyais réglée pour moi.
Je n'aborderai pas ici les questionnements liés au désir d'enfant et aux réponses des techniques dites de PMA. Je n'aborderai pas non plus la question plus générale du mariage, de l'adoption et de la parenté acceptée légalement ou en voie de l'être aux couples homosexuels dans notre pays. Mon propos est donc un questionnement éthique sur le fait qu'une femme puisse de son propre gré porter un enfant et le donner à un couple en "mal d'enfant" qui ne peut lui-même procréer soit parce que la femme n'a pas d'utérus soit parce que le couple est homosexuel et que ce sont deux hommes. Je ne différencie pas dans ma réflexion le type même d'embryon, conçu ou non avec l'ovule de la femme porteuse avec ou non le spermatozoïde du conjoint ou d'un des deux conjoints dans le cas du couple d'homosexuels.

Je me suis demandée alors ce que représentait la GPA comme menace, si elle transgressait dans son essence même, avant toute forme d'application, la loi morale, si elle remettait en question de manière fondamentale comme disent certains les lois anthropologiques et éthiques des sociétés humaines et en particulier de nos sociétés contemporaines. La GPA est-elle inscrite dans nos lois humaines, générationnelles fondatrices d'humanité, est-elle au contraire porteuse de transgression dangereuse, de destruction, de mort ou d'indifférenciation ce qui revient au même symboliquement.

La première question est donc celle-ci : est-il moralement répréhensible pour une femme  de porter un enfant et de le donner à un autre être humain qu'elle jugerait en tant qu'être humain aussi libre qu'elle-même et aussi compétent, puisque son égal, d'accueillir et d'élever ce nouveau-né  pour faire partie de la communauté humaine?
Et bien-sur son corollaire : est-il immoral pour un être humain d'accepter le don d'un nouveau–né librement consenti par les deux parties ? Si nous prenons,  le fondement de la loi morale de Kant qui consiste à élever à l'universalité le principe même de l'action pour vérifier qu'il ne porte aucune contradiction, il n'y a dans le principe même de cet acte aucune transgression. Il peut être universalisable. Nous ne pouvons affirmer que seule l'union charnelle de l'homme et de la femme saurait, sinon engendrer un être humain ce qui fut le cas avant les derniers développements de la techno science, mais surtout en faire un être humain dans le monde commun des hommes. D'ailleurs dans l'histoire de l'humanité l'apparition de la famille en tant qu'entité cellulaire constituée d'un homme d'une femme de leurs enfants légitimes qu'ils élèveraient ensemble est extrêmement récente et limitée  aussi bien sur le plan ethnologique que géographique et même mythique et religieux. Cette forme de la famille, Hegel l'a analysée dans ses deux essences éthiques qui prenaient forme sous la figure de l'homme et de la femme et il prévoyait déjà son implacable mouvement dialectique la transformation inéluctable de la famille. Freud a observé les productions névrotiques et analysé l'ébranlement de  cette famille qui reposait sur l'oppression et le silence de la femme et des enfants dans un système patriarcal, justifié par une contrainte morale bien partagée par l'Eglise et la République laïque. Dans nos sociétés individualistes contemporaines. "L'autonomie condition" et la nécessité pour chacun de se construire une destinée individuelle nous enferme dans de nouvelles  contraintes morales aussi douloureuses que les précédentes, sinon pires, en remplaçant la culpabilité latente de la pression œdipienne donc de la menace du père même déchu (ce que Lacan nommait le nom du père), par un clivage du moi qui engendre la persécution d'une de ses parties par l'autre (1). La forme archaïque de la famille disparaît comme norme du moins, nous devons penser ce qui advient.
Dans la deuxième partie du XXe siècle les nouvelles pratiques d'engendrement, liées au développement des technosciences médicales et surtout à l'aspiration (ou la contrainte) à l'autonomie des individus et de nouvelles formes de familles se sont mises en place. Nous devons donc repenser la famille et les deux essences éthiques qui la constituent masculine et féminine comme Hegel avait pensé en son temps la famille patriarcale qui portait en elle-même les germes de sa destruction dialectique et de sa transformation (2).
Laisser le sujet seul avec son autonomie persécutrice penser à partir de son désir seul la forme d'une famille autocréée comme s'il n'était plus ni sujet d'une généalogie et de ses romans, ni celui d'une histoire et de ses mythes, ni d'une société et de ses productions relève me semble-t-il d'un déni mortifère pour chacun d'entre nous. Le condamner au nom d'une morale qu'elle soit religieuse ou laïque basée sur une anthropologie mythique qui instituerait de manière universelle la famille hétérosexuelle et l'engendrement naturel est une imposture. C'est pourquoi je ne peux m'associer aux critiques moralisatrices qui condamnent au nom de cette idée éternelle de la famille, d'une rupture symbolique anthropologique, ou d'une remise en cause de l'Œdipe tout puissant, les nouvelles alliances créatrices de famille (3).

Qu'en est-il de la GPA ? Deux thèses violement contradictoires s'affrontent. Mais parfois elles se rapprochent étrangement comme dans toute confrontation dialectique :
—La première, celle qui semble largement partagée, condamne la GPA au nom du principe de l'indisponibilité du corps inscrite dans le code civil français: le corps ne peut faire l'objet d'un contrat ou d'une convention. Ce principe s'appuie sur le respect kantien de la dignité de la personne humaine car seul l'homme ou l'être de raison existe comme une fin en soi. L'impératif catégorique qui en découle, rappelons-le est applicable à toute l'humanité : " Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen.". Les choses ont une valeur relative qui peut être donc évaluée en fonction des désirs, du cours des échanges, du troc ou des arrangements entre particuliers jusque aux fluctuations boursières d'une économie devenue financière. Les êtres de raison en l'occurrence les humains n'ont pas de prix, mais une dignité qui ne peut être ni vendue, ni échangée, ni reprise.
Le corps humain porteur de la dignité universelle n'est ni à vendre ni à louer. La femme ne peut vendre son utérus comme une marchandise mise au service d'autrui, la grossesse n'est pas un travail comme un autre (4). Cependant il y a comme toujours des exceptions. Dans la maxime kantienne déjà nous pouvons insister sur les adverbes : toujours en même temps et jamais simplement. Ce qui veut dire que si dans le cadre de la GPA la femme qui prête son utérus est consentante que sa volonté s'accorde avec celle des futurs parents et qu'elle ne vend pas son corps mais qu'elle fait un acte altruiste de don d'enfant, la maxime ne s'applique pas à son cas. Sa dignité est respectée, elle laisse son corps être utilisé comme une chose mais pas seulement. Comment le savoir, diront les contradicteurs : elle peut être influencée, pervertie, poussée à abandonner sa volonté à d'autres bien-sûr. Mais ceci vaut pour tout acte moral qui est toujours impur au regard de l'intransigeance kantienne qui rejette comme entaché d'intérêt toute parcelle de  passion de sentiment ou de désir autre que purement moral : agis pour le bien et seulement le bien, sans condition !
Dans le code civil lui-même il y a des exceptions : il est possible de donner son sang, sa moelle osseuse, son rein, des gamètes et même des embryons et même tous nos organes après la mort si nous y avons consenti avant. À condition de respecter la gratuité ce qui semble kantien et l'anonymat qui ne l'est pas du tout, nous y reviendrons.
En outre nos bien-pensants s'offusquent souvent moins de la prostitution, tolérée par nos sociétés. Elle est dans une situation légale intermédiaire, si elle ne se compromet ni avec le proxénétisme ni avec le racolage même passif (ce qui est, avouons-le, difficile).

L'autre argument des contradicteurs, celui qui m'émeut le plus en tant que sage-femme concerne l'éthique de la naissance : la grossesse, l'accouchement ne seraient rien, Comment nier qu'une femme qui porte un enfant pendant toute la gestation et qui vivrait avec lui ce moment extrême de séparation et de passage d'un monde à l'autre qu'est l'accouchement pourrait disparaître sans traces ou à peine ; Il ne se serait rien passé, l'enfant ne viendrait de nulle part et son accueil dans le monde ne commencerait qu'après la séparation d'avec sa première mère ? Cette question pose de toute manière la question plus générale de l'anonymat dans l'adoption que notre droit a généralisé et que les  dernières lois de bioéthique ont renouvelé.
Kierkegaard dans le concept de l'angoisse est un des rares philosophes à avoir pensé la naissance en tant qu'événement fondateur de monde : la femme au moment de la naissance, dit-il,  ressent plus que l'homme l'angoisse existentielle, sans objet, purement éthique, l'angoisse de tous les possibles et celle du saut qui s'accomplira au moment de la naissance. L'angoisse qui signe la peccabilité de l'être humain qui arrive au monde, pas le péché mais la possibilité de l'accomplir qui est le signe d'Adam et de tous les siens (5), en d'autres termes  c'est cette liberté celle de "tous les possibles" donc celle de la faute et de la transgression morale qui signe son humanité.
En fait c'est à travers la femme qui porte l'enfant et qui le laisse naître que le nouveau-venu dont parle Hannah Arendt, celui qui ouvre avec le champ des possibles le commencement d'une nouvelle histoire humaine et la possibilité de l'acte politique, peut entrer dans le monde.  Ce qu'elle nomme natalité, concept révolutionnaire puisqu'elle permet le nouveau à partir du commencement et non du recommencement ou du destin. (Ceci est d'ailleurs précisons-le en rupture avec l'éternité du cycle naturel dont se réclament les opposants à toute forme de changement.)
Mais que devient cette angoisse si elle est déniée totalement. Cette femme-là qui n'est pas encore mère ne peut disparaître, même si l'enfant peut être élevé par d'autres qui lui transmettront la langue et la culture. Elle est fondamentale pour l'existence humaine.
C'est pourquoi elle doit, quelle que soit la suite, apparaître dans l'histoire de ce nouveau-venu, il ne vient pas de rien et elle n'a pas porté le rien. Je suis donc sur le plan éthique opposée à la disparition de la mère "porteuse" et à l'anonymat.
Je laisse de côté volontairement dans cet appel à l'éthique tout un pan de ma propre réflexion sur la séparation que représente la naissance aussi bien pour la mère que pour l'enfant et l'importance des médiations pour que la langue maternelle donc la pensée puisse émerger de cet événement. L'abandon par la mère de l'enfant qu'elle vient de mettre au monde même sous la forme d'un "don" n'est pas un acte sans conséquences mais ceci est davantage d'ordre psychologique qu'éthique.

L'autre thèse est celle des défenseurs de la GPA tout aussi convaincus, mais tout aussi prudents, au sens aristotélicien du terme. Ceux-ci s'appuient sur les principes éthiques liés à la reconnaissance de l'altérité, à la générosité, au don absolu, le don de sa vie devenant le don d'une vie.  
La question de la marchandisation du corps se pose aussi comment payer pour ce qui n'a pas de prix, (je renvoie à la maxime kantienne) ? Pour l'éviter il suffirait que le don soit gratuit et que le travail demandé à la femme " porteuse" soit simplement dédommagé. Mais est-ce un travail ? Certains privilégient l'éthique minimaliste et utilitariste du contrat entre deux volontés. Cette thèse est insuffisante sur le plan éthique car nous retombons dans les risques de marchandisation et de réification du corps de la femme et de l'enfant.
 Pour Antoinette Fouque la GPA ne pose aucun problème au contraire c'est une étape nouvelle dans la libération des femmes : l'utérus de la femme est producteur de vivants-parlants, porteurs de culture et d'humanité, dit-elle. "La femme est anthropocultrice"(6). C'est un pur travail et un pur don. Cette philosophe psychanalyste engagée dans les luttes de libération des femmes, défend une thèse à la fois politique et éthique : la femme a toujours produit avec son utérus et ses capacités de génitrice des enfants mais cette créativité a toujours été maîtrisée et contrôlée par et pour l'Église, l'armée, le pouvoir politique, le biopouvoir. C'est ainsi qu'elle a été soumise à la loi patriarcale et à l'oppression. Ce travail lui a été dénié ainsi que la charge qu'elle avait d'élever les enfants. Les enfants lui furent imposés ou arrachés, le droit à la reconnaissance de son désir de maternité et à sa liberté  n'était pas reconnu. Le combat pour la contraception et l'avortement fut donc une étape essentielle pour la libération de la femme : "un enfant quand je veux, si je veux !" Il restait à reconnaître l'aspect non seulement anthropologique et politique de sa capacité de génitrice, le reconnaître comme un travail mais aussi comme un don altruiste à l'humanité. Ce serait chose faite du moins symboliquement et politiquement  avec la GPA.  
Cette thèse s'appuie donc aussi sur la théorie du don absolu qu'est la maternité et qui se révèle lorsque une femme porte un enfant pour une autre. Et même pour un couple d'hommes qui, s'ils veulent adopter un enfant ainsi porté, doivent reconnaître l'immensité du don de la femme. Il est donc impossible dans ce cas, dit-elle, que le corps de la femme soit instrumentalisé, elle est forcément reconnue comme génitrice généreuse.
L'accueil de cet enfant est porté par la même nécessité éthique : l'adoption devient un acte d'hospitalité pure, le libérant de tous les arrangements favorisés par le secret et l'anonymat. Accueillir au-delà de sa capacité d'accueil, comme disait Levinas, voilà ce que deviendrait dans sa transcendance, l'adoption. Notre société ferait ainsi le choix non plus de faire des enfants, d'avoir un droit à l'enfant mais d'adopter l'enfant comme nouveau-venu, nouvel arrivant, et ceci pourrait servir d'exemple.
L'adoption peut donc être une acte éthique, le don  généreux d'une femme à un couple, la reconnaissance de l'enfant comme un autre qui ne lui appartient pas et à qui elle offre la possibilité d'une vie meilleure que celle à laquelle il serait destiné en restant avec elle. Mais à l'inverse l'adoption peut être un acte de barbarie si l'enfant est arraché à la mère sans son consentement et pour toujours comme ce fut le cas dans certaines périodes sombres de l'histoire aussi bien en Europe sous le fascisme franquiste que dans les dictatures d'Amérique latine pour ne reprendre que ces exemples.
Avec la GPA les deux extrêmes peuvent se présenter : une jeune indienne ou ukrainienne poussée à donner l'enfant qu'elle a porté à un couple occidental (qu'il soit hétéro ou homosexuel qu'importe) et dont l'histoire  sera passé sous silence, ou bien une femme qui souhaite porter un enfant mais qui ne sens aucune disposition pour l'élever et qui accepte généreusement de participer à la création d'une famille, tout en y ayant une place de choix.
Mais ceci évidemment exige que l'on sorte du silence, du déni et que l'on reconnaisse, dans l'enfantement, l'autre femme. La figure des deux mères est originelle présente dans la plupart des mythes fondateurs, dans les contes de fée et dans l'histoire de chacun d'entre nous, entre marraines, nourrices, tantes ou grand-mères (j'ajoute parfois la sage-femme).
L'arrachement à la famille d'origine est le commencement de l'histoire. Nous pouvons évoquer les deux figures de la femme à l'origine des monothéismes : Sarah et Agar(7). Moïse que la fille du Pharaon qui adopte sans que la mère d'origine ne disparaisse. L'histoire d'Œdipe séparé de sa mère dès sa naissance et qui la retrouve en commettant l'inceste et le meurtre du père, transgression tragique qui ne plaide pas en faveur du déni et du silence qu'impose l'anonymat. La plupart des mythes commencent par un abandon de l'enfant-héros et son adoption par une autre famille, ou même  par un animal, une louve, une lionne. L'abandon  ou le don d'enfant sont à l'aube de l'histoire de l'humanité, l'adoption aussi. Le problème éthique que soulève la GPA ne se situe donc pas là, dans l'origine. Où est-il alors ?
Cet arrangement(8) anthropologique serait-il scandaleux en soi ? N'oublions pas qu'autrefois, il n'y a pas si longtemps, les jeunes "filles-mères" pauvres et pécheresses réfugiées dans des couvents  étaient incitées à porter l'enfant jusqu'à terme pour ne pas avorter et à le donner à un couple infertile bien choisi? Serait-il interdit aux seuls homosexuels, qui d'ailleurs, rappelons-le, ont toujours eu ou élevé des enfants, soit dans le mariage ce qui ne rendait personne heureux, soit grâce à l'adoption qu'elle fut légale ou non ? Devrions-nous juger de cet acte double (don/hospitalité—abandon/adoption) en fonction des risques moraux qu'il porte et que j'ai évoqués plus haut ? En ce cas tout acte, tout engagement, porte un risque moral, tout dépend comme disait Aristote de la juste mesure, de la réflexion ou délibération qui y a présidé et du temps ou Kaïros qui l'accompagne.
Quelle que soit la réponse que nous donnerons à cette question à la fois très ancienne et nouvelle dans sa formulation, il me semble d'ores et déjà qu'elle nous oblige à penser l'adoption, à sortir du déni généralisé de grossesse et pour cela nous ne pouvons simplement la rejeter.

Notes :
(1)    Cf. Castel Pierre-Henri, la fin des coupables suivi de le cas Paramord, Paris, Ithaque, 2012.
(2)    Hegel G.W.F., Préface de la phénoménologie de l'esprit, Paris, GF-Flammarion, 1996.
(3)    Les représentants des religions monothéistes, en particulier l'Eglise catholique, s'appuient sur la parole biblique, et de ce point de vue les couples qui se forment hors du mariage, les pratiques de conception hors du corps incarné sont condamnées et bien sûr l'union de deux personnes de même sexe et la famille homosexuelle. Mais du point de vue religieux seulement. Leur dogme ne peut s'appliquer à l'ensemble d'une société ni faire appel à des arguments de nature anthropologique ou psychanalytique.
(4)    Cf. Agacinski Sylviane, Corps en miettes, Paris, Flammarion, 2009.
Plus récemment la pétition en ligne collectif  No Body For Sale, et tant d'autres.Cf. la dernière loi de bioéthique de juin 2011.
(5)    Kierkegaard Søren, Le concept de l'angoisse, Paris, Gallimard "Tel", 1999.
(6)    Fouque Antoinette, Génésique Féminologie III, Paris, des femmes, 2012. Cf. Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui, rapport d'information de Mme Michèle ANDRÉ, MM. Alain MILON et Henri de RICHEMONT, fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales , n° 421 (2007-2008) - 25 juin 2008.
(7)    Benslama Fethi, La psychanalyse à l'épreuve de l'Islam, Paris, Flammarion, "Champs", 2002.
(8)    Arrangement : cf. Boltanski Luc, La condition fœtale, une sociologie de l'engendrement et de l'avortement, Paris, Gallimard nrf essais, 2004.
La parenté est un arrangement anthropologique en matière d'engendrement qui permet d'accueillir ou non le fœtus en devenir. Il dépend dans le cas de la demande d'avortement ou IVG essentiellement de la mère qui l'accueille dans sa chair mais aussi dans la parole ou pas. Cet arrangement qui devient projet parental est lié à tout un réseau social et politique, même si la femme est celle qui porte le foetus et lui accorde ou non son statut de projet.