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Le toucher élégant ou le toucher et les gants

Le toucher élégant ou le toucher et les gants ? Pour un port du gant non systématique en dermatologie

 

Le toucher élégant ou le toucher et les gants ? Pour un port du gant non systématique en dermatologie Par Dominique Penso Assathiany

Dermatologue installée en libéral depuis 1986 après un internat et un clinicat dont les

grandes lignes ont été médecine interne, réanimation et dermatologie, Dominique Penso Assathiany est Membre du comité de rédaction des Annales de Dermatologie et Vénéréologie et responsable éditoriale du site e-dermato.fr. Enfin, elle est membre 

fondateur du Groupe de réflexion éthique en dermatologie (le GED) qu’elle coordonne 

depuis 2008.

 

Article référencé comme suit : Penso Assathiany, D. (2016) "Le toucher élégant ou le toucher et les gants ? Pour un port du gant non systématique en dermatologie" in Ethique. La vie en question, octobre 2016.   

 

En bas de document, vous avez une version de l'article en format PDF et avec typographie universitaire.

 

L’examen dermatologique est d’abord un examen clinique. Il utilise le regard et le toucher. Mais l’utilisation de ces deux sens peut être perçu comme particulièrement intrusif par le patient. Cet article propose de tenter de cerner les différents aspects du toucher. Il part aussi du constat de la fréquence grandissante du port systématique de gants d’examen y compris lorsque la peau est normale.  Cette constatation a soulevé plusieurs interrogations. Certaines sont d’ordre sociologique : qui porte des gants ? D’autres sont d’ordre plus général : pourquoi porte-t-on des gants systématiquement ? A la question "qui ?" une enquête tente de répondre. A la question "pourquoi ?", les réponses ne sont pas univoques et certaines seront soulevées.

 

Le toucher

L’organe du toucher est, par excellence, constitué par la main. Cette main, ces mains sont des outils d’une extraordinaire complexité tant motrice que sensorielle. Henri Focillon (1) les décrit comme "visages sans yeux et sans voix, mais qui voient et qui parlent." Il dit aussi "Elles sont presque des êtres animés". Ces mains dont le degré de sensibilité est considérable, dont la finesse motrice est incomparable, sautent avec une apparente légèreté d’une touche à l’autre du piano, apparente car cette légèreté s’apprend en particulier par la maîtrise de la force des doigts. Il s’agit donc d’une gestuelle intentionnelle que Richard Senett (2) nomme "le toucher "localisé"". Il distingue alors le toucher automatique du toucher intentionnel. Les mains des artisans, comme celles du pianiste, utilisent à la fois un certain automatisme procédural et la volonté consciente d’un geste ou de la recherche d’une sensation. Mains du dermatologue sans cesse en mouvement sur la peau de son patient, organe important de l’examen clinique. Mains intelligentes. Main droite et gauche ne s’intervertissent pas. Elles agissent en complémentarité dans le cadre d’une activité consciente et volontaire. Se promenant sur la peau, elle cherchent l’irrégularité, elles apprécient le degré de sécheresse, elles affinent les informations fournies par le regard.Ces mains couvertes de peau touchent la peau du patient et en sont touchées en retour. Elles sentent, palpent les lésions situées sur la peau, évaluant leur épaisseur, leur fermeté ou mollesse, leur température chaude ou froide ou neutre, leur profondeur, leur degré d’infiltration. Le toucher n’existe que par ce qu’il touche dit Martine Samé (3). C’est donc l’objet du toucher qui créé le toucher. Réciprocité du toucher. Mais cette réciprocité ne signifie pas identité de sensation. En effet, si ma main de dermatologue va à la rencontre d’une anomalie de la peau du patient, celui-ci sent la peau de ma main mais ne perçoit pas les mêmes informations que moi. Il perçoit la surface de la paume de ma main ou de mes doigts, plus ou moins rugueux ou lisses. Merleau-Ponty (4) affirme que la main n’est pas un ensemble de points mais bien une entité, de même que le corps n’est pas un assemblage d’organes mais un ensemble que le schéma corporel permet de connaître intuitivement. Husserl décrit aussi la réciprocité de la main organe et objet en écrivant : "… à tout moment, je peux percevoir une main "au moyen" de l’autre…l’organe doit alors devenir objet et l’objet, organe" (5) ; il distingue le fait de percevoir avec les organes des sens (je perçois avec les mains ou avec les yeux) et le fait d’agir par les organes des sens (je touche ou je vois par les mains ou par les yeux). Les organes des sens relèvent alors de l’action, de "mon je peux". Il met en lumière le double caractère de ces sens, à la fois passif lors de la perception et actif lors de la volonté de mise en action. Mais il ajoute que lorsque la main touche l’autre main, il y a deux sensations (6), double appréhension. Ces sensations ne peuvent pas être identiques puisque les surfaces touchantes et touchées sont différentes.

 

Le toucher et le patient

Cependant, le réciprocité du toucher n’a pas les mêmes implications lorsque ma main droite touche ma main gauche ou lorsqu’elle touche la peau d’un patient. Si, lorsque ma main droite touche ma main gauche, ce toucher est dénué d’affect, il y a un risque qu’il ne le soit pas lorsque ma main touche la peau d’un patient. Et la survenue d’affects non désirés peut avoir lieu chez le patient aussi bien que chez le médecin. Or, de façon me semble-t-il inconsciente, le dermatologue objective ce qu’il touche afin de le neutraliser tout en engrangeant les informations nécessaires à son diagnostic clinique. Il utilise pour ce faire deux outils. Le premier outil est constitué de son savoir scientifique, colonne vertébrale de son examen. Le deuxième outil est le morcellement de la peau. En effet, l’examen se porte successivement sur des zones adjacentes, aboutissant à l’objectivation de la peau examinée. Lorsque l’examen est terminé, le patient rhabillé, la distance physique rétablie, alors, la personne est reconstituée en sujet ; c’est à ce moment là que se situe la discussion conclusive de l’examen.Lors de l’examen clinique, il est souvent utile de proposer au patient de toucher lui même ses lésions afin qu’il apprenne à les reconnaître. Cet apprentissage est indispensable pour tous et s’effectue dès le plus jeune âge. Le nourrisson apprend à distinguer le doux du rugueux, le lisse de l’inhomogène. Il est d’autant plus important dans les métiers où l’utilisation des mains et du toucher est importante, notamment en dermatologie. La sensibilité de ce toucher peut varier d’une personne à l’autre. Nos mains touchant l’autre vont à la recherche du monde de l’autre. Elles sont marques de notre identité certes administrative par les empreintes digitales figurant sur les passeports anciens, mais aussi de la personne que nous sommes. Mains nous appartenant, allant à la rencontre du monde de l’autre dont la peau témoigne d’une partie du passé sans qu’il ne s’en rende toujours compte. Ces mains ont aussi la mémoire du toucher, décrite par Husserl. En effet, Husserl (7) décrit l’expérience consistant à toucher l’arête fine d’un presse-papier et à garder cette sensation en mémoire. En revanche, contrairement au regard, la description de ce que l’on a touché peut être imprécise, imparfaite, alors que ce que l’on a regardé peut être dessiné, photographié, en un mot, restitué. Mais, s’il existe une réciprocité du toucher-touchant, il n’y a pas de réciprocité du regard qui ne se peut regarder. Nos sens permettent à notre corps d’être présent au monde. A travers nos perceptions, il se constitue comme immanence au monde. Ce corps charnel ou corps propre, körper de Husserl, lieu de la perception, nous permet de sentir et de penser. Nous avons donc par lui, les moyens de sublimer son immanence et de devenir corps-personne, corps entier, corps-chair ou Leib chez Husserl (8) qui écrit "…c’est uniquement par la liaison de la pensée et du corps en une entité naturelle donnée à l’intuition empirique qu’est possible quelque chose comme une compréhension mutuelle entre des êtres animés appartenant à un unique monde…". Ainsi mon monde est en lien avec les autres mondes. La perception sensorielle que mon corps en a, me lie aux autres mondes par l’intermédiaire de leur perception sensorielle.

 

Serrer la main de son patient

Si la perception de la peau du patient par les mains du dermatologue correspond à un toucher intelligent qui traduit la sensation en diagnostic, nous ne savons rien de ce que peut ressentir le patient. Pour paraphraser Husserl, comment la conscience du patient perçoit-elle la peau de son corps lors de l’examen par le toucher dermatologique lorsqu’il est fait mains nues ou mains gantées ? Lorsque l’on se salue en se serrant les mains, il est de bonne éducation de retirer les gants. Peut-on imaginer un salut ganté ?

Petite histoire : C’est la première fois que je rencontre cet homme dont je connais une grande partie de la famille. En disant bonjour, je lui tends la main qu’il serre. Je sens alors que cette main est différente comme s’il y avait une malformation ou que des doigts manquaient. Nous nous asseyons et après m’être enquise du motif de la consultation,  je l’interroge, comme je le fais toujours, sur ses antécédents. "Pas grand-chose" me dit-il, "juste une fracture de l’épaule". Mon regard s’était préalablement rapidement promené sur sa main droite dans laquelle, en effet, le pouce est partiellement amputé de même que l’index. Il ne me parle pas de sa main ni d’un éventuel accident qui aurait pu être à l’origine de cette main amputée. Je ne pose pas de question. Ce n’est que plus tard, pendant l’examen clinique alors que je lui parle de ses cicatrices thoraciques en demandant s’il a eu beaucoup d’acné, qu’il me dit avoir eu un accident pendant l’adolescence. Il manipulait des explosifs …qui ont explosé. Sa main droite est très handicapée car s’il garde la fonction de pince entre le pouce et l’index il ne peut pas l’utiliser pour des gestes fins. Il est devenu ambidextre réservant chacune des deux mains à des usages différents.Je tire de cette histoire plusieurs enseignements : serrer la main de son patient c’est sentir ce que dit sa main. La poignée de main d’un enfant qui ne sait pas encore comment faire, celle de certaines populations dont l’éducation veut qu’on ne regarde pas dans les yeux en serrant la main, celle de la main énergique de l’homme ou de la femme d’action, celle dans laquelle la mienne se sent minuscule tellement elle est large, celle de celui dont la main travaille la matière, celle qui est forte et celle qui est molle, celle qui est moite, enfin celle que l’on n’ose pas serrer tellement elle paraît fragile.Se serrer la main c’est dire à l’autre "je te reconnais" ou "je vous reconnais" car ce contact entre deux individus, entre deux peaux est signifiant de la perception que l’autre est bien une personne, bien un sujet à part entière avant d’être un malade ou un patient ou pire encore un usager de la santé. Mais, attention nous dit-on (9), se serrer la main est source de contamination bactérienne et virale, source de propagation de microbes. Aussi certains proposent-ils de remplacer cette habitude par d’autres manières de salut empruntées aux cultures d’Asie du Sud Est. Le salut mains jointes à différentes hauteurs en fonction de la place hiérarchique de celui qui est salué est empreint de respect  c’est à dire aussi, de mise à distance. Dans notre culture occidentale, la poignée de main, ce peau à peau, témoigne de la reconnaissance de la sacralité de l’autre, touché uniquement à mains nues. Que sentirions-nous si nous portions des gants ?

 

Les gants d’aujourd’hui

Petite histoire : "Monsieur, voulez-vous des gants ?" Le "Patron" se retourne, mi- étonné, mi- amusé. "Non merci". Il va donc examiner à mains nues, la plaie un peu curieuse de la jambe d’une patiente. Mes collègues s’amusent franchement de ma tête. "Tu sais, le Patron ne porte jamais de gants" me dit en riant l’un d’entre eux.Ainsi mon Patron, réformateur, inventeur de la dermatologie moderne ne porte pas de gants y compris pour examiner une plaie qui suinte. Je commence alors à avoir pas mal œuvré à l’hôpital (je suis en fin de clinicat), à avoir travaillé dans d’assez nombreux services de médecine adulte, pédiatrique, et de réanimation mais c’est la première fois que je vois un médecin ne pas mettre de gants dans ces circonstances. Pouvait-il imaginer que la plaie était stérile et qu’il ne pouvait donc pas être contaminé ? Inversement, pouvait-il également penser que ses mains ne portaient pas de germes ou que les germes qu’elles portaient, étaient inoffensifs pour la patiente ? Ou plus simplement n’y a-t-il pas réfléchi ? Bien qu’intriguée, je n’en n’ai jamais parlé avec lui.Trente ans plus tard, même hôpital, même service mais plus le même chef de service : Une collègue plus jeune que moi me demande de venir voir un patient avec elle. Elle consulte dans une pièce située juste à côté de la mienne. Après avoir raccompagné mon patient, je me rends donc dans la pièce où elle consulte. Je suis d’emblée surprise par le fait qu’elle porte des gants jetables non stériles pour examiner un patient dont la peau n’est à l’évidence pas altérée.Enjambant les années, ces histoires se télescopent et me questionnent. En effet, d’un côté, mon Patron, héritier d’un passé dermatologique où le toucher des patients se faisait à mains nues. Malgré son modernisme, il garde cette habitude. De l’autre côté, une collègue plus jeune, met des gants systématiquement. D’un côté, un geste qui pourrait évoquer le toucher des écrouelles par le roi. De l’autre côté, une nouvelle génération de médecins et en particulier de dermatologues dont le début d’apprentissage se situe après le début de l’épidémie d’infection par le VIH et qui se protègent. Ils se protègent des microbes, virus et autres germes dont le patient pourrait être porteur et qu’il pourrait leur transmettre. D’un côté, la sacralité du toucher à mains nues, de l’autre la technicité plutôt que le contact direct.Pour tenter de répondre à la question "qui" porte des gants systématiquement, nous avons, grâce au soutien de la Société Française de Dermatologie et à ses Présidents passé et présent, réalisé une enquête auprès des dermatologues français. L’analyse des résultats montre que le port systématique de gants est plus fréquent chez les moins de quarante ans de même que le lavage des mains entre deux patients et l’absence de poignée de mains. La notion d’hygiène semble donc plus importante chez les plus jeunes. Or, lors des travaux du Groupe d’Etude sur le Risque d’Exposition des Soignants (GERES) de 2012, il a bien été souligné l’absence d’indication du port systématique de gants d’examen en l’absence de lésion cutanée. Ainsi, peut-on ensuite avoir envie de comprendre le "pourquoi".Certes les gants ont une fonction protectrice (le froid, les produits chimiques ou détergents, le soleil en Asie du Sud-Est), une fonction d’élégance voire érotique lors de leur retrait. Ils jouent un rôle majeur dans l’hygiène et l’asepsie et leur absence constitue alors, une faute potentiellement grave. Leur utilisation lors de la toilette des patients ou lors de l’examen de certaines régions anatomiques telles que la région ano-génitale, est en soi une forme non seulement d’hygiène mais de respect. Qu’ils soient portés si les mains de l’examinant sont elles-mêmes lésées est normal et même souhaitable. Mais de quoi se protège-t-on lorsqu’ils sont portés pour l’examen d’un patient dont la peau est normale ? Quel danger pourrait bien porter la peau normale d’un patient ? La main du dermatologue touche ainsi l’intimité de la peau du patient mais il s’en protège avec des gants. Gants comme préservatif ? Comme peau protectrice de la peau ? Comme écran entre moi et l’autre, entre mon monde et le monde de l’autre ?Ce gant possède, comme la peau, un intérieur et un extérieur. Si on retourne le gant, alors l’intérieur devient extérieur. Mais l’habit qui me va comme un gant me colle à la peau. Gants enfilés dont ma peau extérieure touche l’intérieur. Ceci évoque les plis et replis de la formation de la peau et du système nerveux central au cours de l’embryogénèse. C’est le même tissu, l’ectoderme qui forme l’enveloppe extérieure avec ses invaginations muqueuses, passages entre l’extérieur et l’intérieur, et le cerveau, organe profond, source des sensations conduites à partir des sens.

 

Pression hygiéniste vs un monde caressant un autre monde

Alors, gants pourquoi ?

Tout d’abord gants protecteurs contre quelque chose d’invisible, peut-être un virus ou une bactérie, en tout cas un danger. Gant comme symptôme de la peur de ce que l’on ne voit pas mais pressent. Mais aussi utilisé comme une mise à distance du dermatologue vis à vis de son patient. Gants qui affirment que l’effleurement de la peau du patient n’est pas caresse. Levinas (10) explique que la caresse ne relève pas du passage de la main sur la peau de l’autre. C’est la personne entière qui caresse l’autre personne entière, c’est un monde qui caresse un autre monde. L’examen dermatologique ne doit pas produire de la caresse ni le sentiment de caresse. Il est objectivant pendant l’examen d’une peau morcelée. Au fond, de qui ou de quoi a-t-on vraiment peur lors de cet examen ganté ? Ne serait-ce pas de soi-même ? Peur de ne pas savoir se mettre suffisamment à distance ? S’agit-il d’une peur de soi pour l’autre ? Je n’en suis pas si sûre. Or en médecine, il paraît essentiel d’avoir peur de soi pour l’autre. Il ne faut évidemment pas que cette peur devienne paralysante mais elle permet une certaine rigueur indispensable à l’exercice de l’art médical. A la peur de soi, à la peur de manquer de recul, j’opposerai volontiers la plénitude qui ne s’acquiert peut-être qu’avec l’expérience. La plénitude n’est pas synonyme de confiance en soi mais elle en est proche.A côté de la peur de soi se situe la peur de l’autre, de ce qu’il véhicule sans en être conscient, du moins le plus souvent.Petite histoire : Je reçois un patient d’une cinquantaine d’année qui a, sur le thorax, des petites lésions d’origine virale que je reconnais cliniquement assez facilement. Compte tenu de son âge (trop âgé pour avoir ce type de pathologie, plus fréquente chez l’enfant) je demande une sérologie VIH. Le résultat en est positif. Je le lui annonce ; il ne dit rien. Quelques semaines plus tard, je le revois et il me dit : "en fait, je le savais". Impression d’avoir été trompée. Interrogations sur le motif de la tromperie. Peur de ma réaction ? C’est possible, mais alors, il préfère que je risque d’être contaminée plutôt que de prendre le risque d’une supposée réaction inadaptée de ma part. Ayant reconnu le caractère viral de ces petites papules, je m’en étais protégée par le port de gants pour les exciser. La confiance que je porte à un patient peut-elle être totale ? A la confiance, faut-il opposer la méfiance ? Cette situation est heureusement rare.Que devient, dans un contexte de plénitude et de confiance, la nécessité du port systématique des gants ? Le message adressé au patient que nous examinons n’est-il pas, alors, celui de la défiance voire de la méfiance ? Je m’interroge sur la réalité de la justesse de la relation avec un patient dont on se méfie et à qui on le signifie par le port des gants.Le dernier volet de ce questionnement sur la signification du port de gants est plus vaste. Il interroge la pression hygiéniste de notre société. La prévention est devenue le maître-mot. L’hygiène de vie, la vie en bonne santé de sujets toujours jeunes et dynamiques constituent le paradigme d’une société repliée sur l’injonction de bien-être sous surveillance. Et si l’on doit vieillir, alors il est impératif de bien vieillir. Tout un programme !

 

En conclusion

Le toucher est un sens essentiel du contact avec autrui. Le toucher soignant ne peut être confondu avec le toucher affectif ou aimant. Le toucher avec une main habillée d’un préservatif à main met l’autre à distance, distance essentielle dans certaines circonstances mais pas lorsque la peau du patient examiné est normale. En matière de toucher médical ou soignant en général, il me semble à la manière d’Aristote, que l’on pourrait trouver un juste milieu dans l’indication du port de gants. Entre celui qui n’en mettait jamais (mon Patron) et celle qui en met toujours (ma jeune collègue), il me semble qu’il y a de la place pour un port de gant non systématique, respectueux de la pudeur et de l’hygiène pour le patient.

 

Notes :

(1)    Focillon H., Vie des formes, suivie de l’Eloge de la main, Paris, Presses universitaires de France, 1943, p. 103.

(2)    Senett, R., Ce que sait la main. La culture de l’artisanat, trad Dauzat P-E., Paris, Albin Michel, 2010, p. 210.

(3)    Samé M., Le toucher suspendu, Paris, Sciences Humaines et Savoirs, 2015, p.13.

(4)    Merleau-Ponty M., Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, col Tel, 1945, p. 127.

(5)    Husserl E., Méditations cartésiennes. Introduction à la phénoménologie, trad Peiffer G. & Levinas E., Paris, Ed Vrin 1947, 2014, p. 159-160.

(6)    Husserl, E., Recherches phénoménologiques pour la constitution, trad Escoubas E., Paris, Presses Universitaires de France, [1952], 2004, p. 209.

(7)    Husserl, E., Recherches phénoménologiques pour la constitution, id, p. 209.

(8)    Husserl E., Idées directrices pour une phénoménologie, op. cit, p. 179.

(9)    Sklansky M., Nadkarni N., Ramirez-Avila L., " Banning the Handshake from the health care setting," JAMA Published onlineMay 15, 2014.

(10)    Levinas E., Autrement qu’être, Le livre de poche, Paris, 1978, p. 143.