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Histoire francophone de la médecine Bernard herencia

Il se passe des choses dans l'histoire francophone de la médecine

ll se passe des choses dans l'histoire francophone de la médecine


par Bernard Herencia, Maître de conférences HDR
à l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée et chercheur au LIPHA Paris-Est (EA 7373)


recension de l'ouvrage dirigé par Alexandre Klein et Séverine Parayre :
Histoire de la santé. XVIIIe-XXe siècles. Nouvelles recherches francophones,

Laval : Presses de l’Université de Laval,
2015, 232 p., 23 euros.
ISBN 978-2-7056-7361-1


Article référencé comme suit :
Herencia, B. (2016) "Recension de l'Histoire de la santé. XVIIIe-XXe siècles. Nouvelles recherches francophones par A. Klein et S. Parayre (dir.)" in Ethique. La vie en question, décembre. 2016.

Ce livre est un ouvrage coordonné par Alexandre Klein, philosophe et historien des sciences, chercheur à la faculté des sciences de la santé à l’université d’Ottawa et Séverine Parayre, docteure en sciences de l’éducation et chercheuse associée au laboratoire Techniques et Enjeux du Corps de l’université Paris Descartes. Ces deux chercheurs en histoire de la santé sont animés, depuis 2011, par la volonté de construire des espaces d’échanges et des réseaux de recherche en histoire de la santé dans le monde francophone. Ils ont fondé et animent  le blog "Historiens de la santé. Réseau de recherche en histoire de la santé" (http://histoiresante.blogspot.fr/) qui compte à ce jour plus de trois cents membres issus de disciplines très diverses dont les travaux contribuent à l’histoire de la santé. Cette plateforme facilite la veille scientifique dans ce domaine et œuvre à la diffusion des travaux et à la promotion des manifestations. Le présent ouvrage porte le même projet en publiant des contributions témoignant de la richesse et de la pluralité de l’histoire de la santé.

 


Le recueil proposé par A. Klein et S. Parayre réunit des textes revus de communications données par ailleurs et des articles originaux consacrés à des études françaises et canadiennes mais aussi suisses et brésiliennes qui s’intéressent à diverses époques du XVIIIe au XXe siècle. Ces textes laissent apparaître les lignes de force de l’histoire de la santé dans les espaces francophones et francophiles. Car, c’est la finalité du projet scientifique que portent les auteurs : contribuer à l’édification de la cohérence institutionnelle de ce champ de recherche francophone alors qu’il est tout à fait établi dans le monde anglo-saxon. Les études du champ francophone existent et peuvent même être foisonnantes (parfois liées à des axes scientifiques de laboratoires, à des chaires, etc.) mais l’éclatement, la balkanisation au gré des objets et des méthodes restent un frein puissant à la construction d’une histoire de la santé : c’est ce que traduit et entretient l’absence institutionnelle en France d’une discipline universitaire dédiée à l’histoire de la médecine même si la dimension institutionnelle existe en Suisse ou au Canada. Les chercheurs francophones sont globalement isolés. A ce propos, nous regrettons d’ailleurs que le recueil n’ait pas proposé une contribution soulignant les particularités de l’histoire francophone internationale de la santé (en dehors évidemment de ses aspects strictement linguistiques et des espaces francophones étudiés) et explicitant ses nécessaires relations avec les études anglo-saxonnes en mobilisant, par exemple, les travaux récents de J. Andrews, G. H. Brieger, J. C. Burnham, R. Cooter, E. Krohn Herrmann, S. B. Lewenson ou encore de S. Sturdy.

 


A. Klein et S. Parayre inaugurent l’ouvrage avec une synthèse consacrée à l’émergence de l’histoire de la santé comme programme de recherche. L’histoire de la santé a d’abord été une histoire de la médecine dominée par les travaux des seuls médecins dédiés aux progrès dans l’art de soigner. Les recherches des dernières décennies ont révélé trois principales perspectives historiographiques : l’histoire médicale de la médecine fondée par C. Daremberg (et poursuivie avec les travaux de M. D. Grmek, M.-J. Imbault-Huart ou encore D. Gourevitch) ; l’histoire épistémologique de la médecine initiée par les recherches de G. Canguilhem, M. Foucault, C. Salomon-Bayet et F. Dagognet prolongées par celles de J.-P. Peter, O. Keel, R. Rey, P. Keating et C. Bonah ; l’histoire de la santé issue des travaux de J. Léonard. Cette dernière voie multiplie les recherches au carrefour de diverses disciplines (philosophie, anthropologie, sociologie, démographie, psychologie, géographie, etc.) pour l’étude des soins, des soignants, des soignés dans des cadres personnels, interpersonnels, institutionnels et sociaux. De ces réseaux d’échanges émerge un véritable nouveau paradigme, une histoire de la santé incluant notamment l’histoire technique de la médecine, son histoire intellectuelle ou encore l’histoire épistémologique des sciences médicales.

 


Cette introduction est suivie d’une présentation des principaux travaux québécois proposée par F. Guérard, professeur d’histoire de la santé à l'université du Québec à Chicoutimi. Le recueil est ensuite organisé en quatre parties. La première ("Institutions, soins et préventions") étudie la contagion dans les institutions hospitalières au XVIIIe siècle (C. Garnier), l’apparition des éducateurs de santé (les instituteurs de l’école primaire) en France au XIXe siècle (S. Parayre) et les réflexions d’E. Freinet (institutrice épouse du célèbre pédagogue) sur l’éducation à la santé (X. Riondet). La seconde partie ("La parole aux malades") évoque, à partir d’études de correspondances, l’autonomie des patients dans leur parcours de soin au XVIIIe siècle (A. Klein) et le regard d’une épileptique québécoise sur l’institution hospitalière et ses acteurs au début du XXe siècle. La troisième partie ("Le point de vue des médecins") introduit à l’œuvre du docteur vaudois Tissot au XVIIIe siècle (A. Kein) et à celle du docteur parisien Labbé au début du XXe siècle (C. Marchand). La dernière partie du recueil ("Médias et méditations") s’intéresse au rôle de la publicité dans l’apparition du marché du soin (D. Nourrisson), notamment au cas particulier de la publicité pour l’aspirine entre 1920 et 1970 au Québec (D. Baillargeon) et aux évolutions des représentations populaires liées à la question du poids dans le Brésil du XXe siècle (D. Bernuzzi de Sant’Anna). Ces diverses études, réalisées par des historiens, notamment des historiens des sciences, des philosophes ou encore des spécialistes des sciences de l’éducation, mettent en avant les acteurs de l’histoire de la santé : institutions, médecins, patients, soignants, éducateurs, publicitaires et journalistes. Ces approches par les acteurs s’insèrent effectivement dans un axe majeur de l’histoire de la santé érigée ici, conformément au projet des auteurs, en histoire sociale nécessairement interdisciplinaire.

 


Les auteurs accomplissent ainsi un temps important dans l’accomplissement de leur ambition en proposant au public un ouvrage témoignant du dynamisme et de la pluralité des études francophones en histoire de la santé moderne et contemporaine qui contribue à leur construction institutionnelle (au moins de fait). Il est ainsi, comme l’affirme A. Klein et S. Parayre, une "vitrine" et un "manifeste", bref, une étape remarquable dans cette édification fédératrice.