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Critique de l'ouvrage de Sylvie PANDELE

Accompagner avec vigilance : Sylvie Pandelé et la grande vulnérabilité

Une critique de livre par Bertrand QUENTIN

Agrégé et Docteur en philosophie HDR. Maître de conférences à Paris-Est Marne-la-Vallée Laboratoire LIPHA EA7373Enseignant au Master de philosophie parcours "éthique médicale et hospitalière appliquée" (Ecole éthique de la Salpêtrière)

 

Critique de l’ouvrage de Sylvie Pandelé, La Grande vulnérabilité, Paris, Seli Arslan, 2010 (2ème édition)

Article référencé comme suit : Quentin, B (2015) "Accompagner avec vigilance : Sylvie Pandelé et la grande vulnérabilité " in Ethique. La vie en question, nov 2015.

 

Sylvie Pandelé, psychologue clinicienne, directrice de MAS (Maison d’Accueil Spécialisée) a publié en 2008 un petit livre dense intitulé La Grande Vulnérabilité - qui en est déjà à sa seconde édition augmentée. C’est assurément un gage de la qualité de l’ouvrage. Il est à noter que cet ouvrage est en partie issu des Mémoires de Master 1 et 2 de Paris-Est Marne-la-Vallée qui, regroupés, ont obtenu le Prix du mémoire de Master 2006 de la Fondation de France / SFAP. L’ouvrage publié chez Seli Arslan a pour sous-titre "Esquisse d’une éthique de l’accompagnement".

 

Le concept de "grande vulnérabilité"

Tous vulnérables, mais certains le sont plus que d’autres…

Il faudrait reprendre Sylvie Pandelé avec son sous-titre, car il ne s’agit pas de n’importe quel "accompagnement" mais d’un accompagnement de ce qu’elle a conceptualisé sous le terme de "grande vulnérabilité".

Il est en effet philosophiquement entendu que l’homme est un être intrinsèquement vulnérable. Contrairement à la bête qui n’a rien d’autre à faire que son métier de bête, codifié par des réflexes, des impulsions, des appétits, l’homme est un être inachevé. Inachevé à la naissance (le petit d’homme court un risque vital immédiat si d’autres hommes ne prennent pas soin de lui pendant encore de longues années), inachevé tout au long de son existence (l’homme est un être en quête de sens qui ne se sentira jamais totalement "arrivé"). Il y a en l’homme un manque ontologique qui fait son risque permanent de la blessure d’identité. Qui suis-je ? Vaut-il mieux être que n’être pas ? Telle est la vulnérabilité d’une espèce douée de logos.

Mais ces questionnements pourraient déjà sembler un luxe pour les personnes dont s’occupe Sylvie Pandelé. "C’est l’extrême vulnérabilité qui constitue le point nodal de notre réflexion présente, à savoir celle qui est massive, permanente, qui touche tant l’esprit que le corps et dont les perspectives d’évolution ne peuvent qu’être péjoratives à plus ou moins long terme ; ce que certains appellent encore […] la grande dépendance à autrui" (35-36). Alors que de nombreuses situations de vulnérabilité existent, tant dans le cadre social que liées au handicap physique, ici "c’est l’impossibilité de "se reconnaître" qui confère à la vulnérabilité humaine son caractère extrême ; l’impossible réflexivité" (44). Il y a le plus souvent chez les résidents dont s’occupe l’Auteure, l’impossibilité d’avoir une appréhension consciente et réfléchie de leur situation de vie présente. Cette absence de réflexivité et de lucidité (ou ces absences transitoires) vont créer d’abord un risque vital.

 

Le risque vital 

"la personne en situation de coma, le vieillard dément plongé dans un état de stupeur ou agité de pensées obsédantes et délirantes, l’adulte psychotique déficitaire absorbé par l’immuabilité de ses stéréotypies gestuelles oublient d’avoir soif ou ne savent plus la nécessité de s’alimenter" (48). L’Auteure nous dit que la personne en grande vulnérabilité est donc aussi démunie qu’un nourrisson, mais elle devrait ajouter que cela peut être même pire, puisque le nourrisson a le réflexe de hurler quand il a faim ou soif – ce  qui n’est plus le cas avec les personnes évoquées par Sylvie Pandelé. La personne en grande vulnérabilité "joue sa survie au quotidien, en toute inconscience" (49).  Ayant perdu la sensation et l’idée même de la soif, elle se distingue clairement d’une personne non autonome fonctionnellement qui ne pourrait réaliser, seule, le schème moteur de se servir à boire.

 

Un risque ontologique

Au risque vital évoqué s’ajoute un risque que l’Auteure qualifie d’ "ontologique". Ce qui est en effet en jeu ici n’est plus le simple assouvissement de besoins primaires, mais le risque que ces personnes en grande dépendance perdent un statut qui les fait encore appartenir à notre monde commun. Ces personnes peuvent subir "trois niveaux de disqualification" : celui d’une déshumanisation (l’être n’est plus considéré comme appartenant au genre humain), d’une dé-personnalisation (l’être n’est plus considéré comme une personne) ou d’une dé-subjectivation (l’être est une personne humaine mais pas un sujet). Ce que le grand public n’a pas souvent en tête, c’est que notre attitude vis-à-vis de la personne handicapée la modifie en retour, en tant qu’elle lui fait perdre toute confiance en elle ou en lui permettant de consolider des aspects d’elle-même. "Les personnes fragilisées par leurs graves altérations voient ainsi leur vulnérabilité renforcée par le doute contenu dans la question posée de leur appartenance à l’humanité (et le risque de la réponse apportée)" (51). Plus loin l’Auteure dira encore que "la personne en grande vulnérabilité n’est pas de taille à combattre les regards chosificateurs dont elle est l’objet permanent" (145). La réduction de ce que l’on juge scientifiquement de ces personnes à des listes de disfonctionnements (les fameuses grilles AGGIR) contribue à les enfermer et à canaliser de manière appauvrissante le regard d’un certain nombre de professionnels. Sylvie Pandelé use ici des apports théoriques précieux de Bernard Ennuyer dans son ouvrage Les Malentendus de la dépendance (Dunod, 2003). Elle en vient donc à dire qu’"appliqué aux sciences humaines et plus précisément mis en œuvre dans le champ politique du social et de la santé, cet impérialisme scientifique prend la forme de grands programmes classificatoires et catégoriels de populations repérées par leur types de maladies, de handicaps, par leurs niveaux de dépendance ou de pertes de capacités qui ouvrent à leur tour sur l’élaboration et l’institutionnalisation de dispositifs d’accueil, de prises en charge et d’aides en tout genre. La mesure a mesuré ce qu’elle voulait mesurer, dans l’ignorance la plus absolue de celui qui en était l’objet : l’homme vulnérable" (61).

Le véritable travail d’accompagnement, pour Sylvie Pandelé, va donc consister à aller à rebours de cette tendance à l’objectivation appauvrissante. La tâche première de l’accompagnant sera d’empêcher le processus de déshumanisation, de dépersonnalisation ou de désubjectivation. Et cette tâche est ambitieuse et difficile car "ces personnes en état de dépendance totale à l’autre, en quelques lieux où la nécessité de prise en charge les a orientées […] posent une même et difficile interrogation : comment les rencontrer ?" (23).

 

Rendre possible une rencontre éthique

Les personnes en "grande dépendance" peuvent adopter des comportements très régressifs et particulièrement éprouvants : les bruits, les silences, les odeurs, les visions insoutenables, les cris, les contacts corporels viennent continuellement agresser, saturer la perception des accompagnants. "Déguisée, maquillée, grimée sous son masque de monstruosité, la grande vulnérabilité flirte avec l’insupportable et l’absurde, tant dans ce qu’elle donne à voir qu’à entendre" (143).

L’Auteure reprend alors des catégories qu’elle a retiré de l’enseignement d’Eric Fiat : le soignant se trouvant devant ces situations "insensées" peut essayer de les fuir en pratiquant l’esquive (ex : délégation des tâches ingrates, activisme dans des domaines éloignés), la tragédie (ex : soignant englué dans d’interminables délibérations avec lui-même) ou l’obstination (risque de burn out pour l’un et de maltraitance pour l’autre).   

Il va falloir trouver autre chose, "ouvrir une brèche dans le visible lorsque celui-ci envahit tout le champ visuel" (93). Savoir penser ce que peut être le monde vécu d’une personne qui semble totalement restreinte dans ses perceptions : "Christophe, 22 ans, en position recroquevillée à même le sol, "oligophrène profond" […] Le monde de Christophe est peuplé de fourmis, de cailloux, d’herbes et pour les jours heureux de promenades et de marguerites" (94).   

Sylvie Pandelé utilise aussi l’enseignement de ses maîtres pour rappeler la double étymologie possible du terme éthique : éthos, avec le "e" bref (epsilon)  ε signifiant en grec la "manière de vivre", la "coutume", l’ "habitude", mais également êthos avec le "e" rendu long, êta signifiant en grec la "demeure", "le séjour habituel". Comment peut-on donc contribuer à ce que ce second sens de l’éthique soit reconnu avec des personnes en grande vulnérabilité ? Difficulté abyssale devant "l’êthos que semble "habiter" Christophe, Emilie et toutes ces personnes blessées […] séjour hermétiquement clos, sorte de château fort dont le système de commande des ponts-levis aurait été irrémédiablement enrayé" (96). Il va falloir "poser un nouveau regard d’humanité sur ce qui, au premier abord, ne semble pas humain ; non pas un regard "humanisant" (car personne ne peut humaniser l’autre), mais un regard décalé, qui rompt avec toute forme de privation d’être, que le recours habituel aux désignations d’ "incapable majeur", de "dément", d’ "oligophrène" ou de "non autonome" préfigure" (146). Tous les efforts de l’accompagnant (y compris dans les actes classiques du soin) doivent converger vers une seule et même finalité : "réinscrire et maintenir la personne dans une polarité éthique, à savoir comme habitante du monde" (154). L’êthos donc, au sens de l’habiter.

Mais une tension semble apparaître ici, que Sylvie Pandelé ne thématise pas, mais que seule son concept de "vigilance éthique" pourra aider à réduire. D’un côté en effet il y aurait un chemin de singularisation maximale : le résident serait écouté jusque dans ses demandes les plus étonnantes, témoignant du respect de son univers propre. Témoin cette vignette clinique :   Charles, homme de 44 ans, n’ayant pas de représentation unifiée de son corps s’est adonné depuis toujours à un rituel précis : il doit retirer ses excréments, les examiner et les déposer soigneusement au sol (ce sont des petites parties de lui). Mais avec sa pathologie dégénérative musculaire il risque maintenant de  s’effondrer. Les accompagnants en viennent donc à installer pour lui une fixation au plafond de la salle d’eau pour que, fixé avec un harnais de type parachutiste, il puisse maintenir cette pratique… D’un autre côté, l’Auteure nous dit que "la grande vulnérabilité […] n’est pas une autre culture, un autre système de normes et de valeurs mais, à l’inverse, un monde en péril permanent de mort psychique, monde d’incohérence et d’indifférenciation […] un accompagnement de qualité et respectueux de la personne est un accompagnement qui s’emploiera systématiquement à réinscrire la personne en grande vulnérabilité dans notre humanité commune et, par voie de conséquence, à la soumettre aux obligations, normes et autres codes qui fondent et constituent l’ossature de ce monde" (160). Dialectique difficile donc entre l’écoute du singulier et l’obligation à respecter une organisation collective. C’est ce qui fait tout le mérite de cet accompagnement prôné par Sylvie Pandelé. Pour rendre possible cet accompagnement, il faudra développer une vertu particulière qu’elle baptise "vigilance éthique".

 

Rester en "vigilance éthique"

Ni respect, ni sollicitude…   

La "vigilance  éthique" est censée être la vertu ici adéquate, plus adéquate que le "respect" kantien – davantage vertu d’abstention et pas assez impliqué charnellement et psychiquement vers l’autre. La "vigilance éthique" serait aussi préférée à la sollicitude ricoeurienne car elle permettrait une plus grande précision dans l’adaptation. "La vigilance [est] tension du devoir-être-attentif" (132).

Veiller pour l’Autre

"la vigilance éthique aura pour fonction de veiller au maintien de la personne dans la communauté des hommes […] de s’assurer que les conditions d’existence d’un êthos commun sont présentes, et  […] d’entretenir ses capabilités" (136-137). L’accompagnant est un veilleur. Eric Fiat, dans sa belle Préface, rappelle la cantate Wachet auf, ruft die Stimme de Jean-Sébastien Bach, où se trouve le célèbre "Choral du veilleur" qui fait de la vigilance la vertu suprême du croyant. Il rappelle que même le Christ vécut le sentiment d’abandon, parce que ses compagnons s’étaient endormis. L’accompagnant des personnes en grand vulnérabilité est donc celui dont le métier est de veiller encore et toujours. On rappelle que la Circulaire du 28 décembre 1978 institue les MAS de la façon suivante : "les Maisons d’accueil spécialisées (MAS) sont agréées pour accueillir les personnes n’ayant pas acquis le strict minimum d’autonomie et nécessitant une surveillance et des soins constants". Une "surveillance et des soins constants", donc.

Le veilleur est un guetteur et un interprète

"le risque est grand pour celui ou celle qui n’a plus accès aux codes sociaux d’expression de ses besoins ; si l’accompagnant ne sait pas interpréter le rictus, l’ébauche de geste ou le comportement atypique à l’origine de l’expression d’une attente vitale ou d’un besoin primaire" (135). L’accompagnant devient un guetteur de signes, un interprète raffiné. L’Auteure nous évoque par exemple le cas de Sophie, jeune adulte autiste déficitaire, incapable de communiquer mais qui éclate de rire à chaque fois qu’elle ressent le besoin d’uriner. Les soignants qui la connaissent peuvent donc l’aider en conséquence. On comprend qu’avec ce genre d’exigence d’interprétation, la patiente croissance dans la connaissance du résident devient nécessaire et que le turn over des personnels peut contrecarrer cela.Veiller sur les besoins primaires, certes. Mais aussi veiller sur les indices ténus qui peuvent maintenir l’inscription de la personne en grande vulnérabilité dans le monde des hommes. L’accompagnant veille à entretenir le "pouvoir-se-raconter" (selon la terminologie de Ricoeur). "il devra se faire suppléance opportune à l’effacement identitaire par le rassemblement de tous les éléments biographiques que le sujet ne peut plus transmettre lui-même […] faciliter l’affichage et la reconnaissance de sa filiation humaine : des photos de famille, la transmission de moments importants vécus par la personne au cours de sa vie, des objets importants, symboles de ses attaches antérieures ou actuelles, etc." (173). C’est ce à quoi on a procédé, par exemple, avec Jean-Michel. L’Auteure nous propose en effet la vignette clinique suivante : "A son arrivée à la Maison d’Accueil spécialisée, Jean-Michel, adulte psychotique et déficitaire, sans langage et non autonome, a été installé dans une chambre spacieuse, confortable, bien équipée mais impersonnelle […] Très rapidement Jean-Michel a entrepris d’y retrouver ses repères, son espace intime et familier. Régulièrement, les nuits, il tapissait entièrement les murs de sa jolie chambre de ses selles. Cela a duré plusieurs mois…Le temps nécessaire à l’équipe de professionnels pour analyser et comprendre la situation, enquêter auprès de ses proches pour mieux cerner ses goûts et ses habitudes et, enfin, passer à l’action et décorer sa chambre d’une tapisserie murale reproduisant la bande dessinée de Tintin qu’il affectionnait tant. Du jour au lendemain, Jean-Michel a arrêté son activité nocturne. De temps en temps encore, il lui arrive de se figer devant les personnages de Tintin, Milou et autre Professeur Tournesol et de sauter de joie pendant quelques minutes …" (156). Etre attentif à la biographie d’un résident, si ténue soit-elle, peut donc amener à ce qu’il se sente mieux dans l’établissement. 

 

Coups d’ongles du critique…

On peut reprocher à l’Auteure son usage insistant et voulu valorisant du terme de "posture éthique" (27, 84, 158). Cela est d’autant plus regrettable que la "vigilance éthique" que prône Sylvie Pandelé est tout sauf de l’ordre de la "posture" - attitude mécanique, stéréotypée que l’on adopte pour plus d’ "efficacité". La "vigilance éthique" n’est possible qu’avec un soignant cherchant l’authenticité, ne trichant pas avec une pseudo efficacité mécanique.

Peut-être y a-t-il aussi parfois la trace de polémiques vivaces entre bénévoles (qui savent prendre le temps) contre les professionnels (qui ne font pas attention aux résidents). Ainsi dans la formulation suivante : "Les murs des Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et d’autres structures de soins résonnent tous les matins des bavardages insipides échangés entre les soignants occupés aux soins de base de la personne "prise en charge" […] les effets de ces rendez-vous manqués quotidiennement sont désastreux pour la personne démunie" (145-146).  Le "bavardage" des soignants peut sembler "insipide", mais c’est aussi leur vie ! Qu’il est long le chemin qui nous fera atteindre la sainteté… Et en même temps, il faut bien quelqu’un pour réveiller les autres quand ils se sont parfois assoupis dans un sommeil "anti-éthique". Sylvie Pandelé peut endosser ce rôle.

On peut aussi trouver que l’Auteure essaie de se donner la main un peu trop lourde face à Ricoeur. Pourquoi tant de haine ! Elle utilise Ricoeur et montre la fécondité de ces catégories d’analyse (le pouvoir-dire, le pouvoir-faire, le pouvoir-se-raconter, le pouvoir-se croire-capable-de) mais ressent le besoin de prendre la "sollicitude" comme cible privilégiée.  "Ricoeur revendique même la réhabilitation des sentiments de sympathie et de compassion. On connaît pourtant bien les dangers d’une telle sollicitation de la sphère affective de part et d’autre" (125). "la sollicitude […] se conjugue au futur ; ayant un temps d’avance, elle est déjà à l’œuvre et ne se pose plus de question : elle agit" (129). "La sollicitude […] se penchera sur Sophie pour tenter une compréhension de ce rire irraisonné, pour s’enquérir de son bien-être du moment, dans une attitude enveloppante dont la douceur n’a d’égale que sa futile opérationnalité" (169). "La sollicitude de celui trop prompt à rechercher le bien de l’autre" (169). Mais d’où faudrait-il donc que la "sollicitude" soit trop pressée, aveugle et futile ? Pourquoi faudrait-il que la sollicitude soit définie comme "s’égarant à soulager l’autre d’une souffrance ordinaire qu’il n’a pas" (179). Dans la "sollicitude" il y a bien au contraire l’idée d’un soin attentif à l’autre. On peut certes considérer que le côté affectueux qui caractérise la sollicitude ne sera peut-être pas professionnellement toujours tenable, mais l’auteure montre aussi ce que le respect kantien a d’insatisfaisant en tant que "phobie de la proximité" - pour reprendre l’expression de Jankélévitch. On sait bien que l’adolescent a besoin de s’opposer pour se poser, mais l’Auteure devrait dépasser cet âge agonistique… Que Ricoeur n’ait pas tout dit, ne peut pas lui être reproché ! Concentrons-nous plutôt sur ce qu’il nous dit de précieux et complétons avec ce que l’on ne trouve pas chez lui. La rencontre est une juste mesure à trouver entre trop de principes et trop d’émotions. Mais c’est bien-sûr ce que Sylvie Pandelé veut nous dire avec son concept de "vigilance éthique".

 

CONCLUSION

Ce livre de Sylvie Pandelé est important. Il met en avant le concept nécessaire de "grande vulnérabilité". Il met en avant la vertu de "vigilance éthique" nécessaire à la personne qui accompagne ce type de public. Les vignettes cliniques qui émaillent le déroulé conceptuel de l’ouvrage sont riches et émouvantes. Avec des personnes dans l’incapacité d’assumer leur propre sécurité tant physique que psychique et, donc, en situation d’exposition majeure, l’accompagnant va, on l’a vu, chercher à créer les conditions d’existence d’un êthos commun, chercher la mise en place d’une habitabilité de ce monde. Il visera à rendre l’étranger familier, à mettre du logos où il n’y en avait plus, à historiciser l’univers de la personne, pour elle, pour ses proches et pour les professionnels qui l’entoureront mieux ainsi.Ce livre est important. Nous ne saurions que trop en conseiller la lecture. Ne serait-ce que pour y entendre Sylvie Pandelé, armée de sa longue expérience, nous réveiller avec force : "Ce fossé entre les capacités humaines fondamentales et les incapacités affichées de la grande vulnérabilité est-il irrémédiablement infranchissable ? La réponse est non" (165).

 

Références bibliographiques :

Ennuyer, B.  (2003) Les Malentendus de la dépendance, Dunod

Pandelé, S. [2008] (2010). La grande vulnérabilité, Paris, Seli Arslan

Ricoeur, P. [1990] (1996). Soi-même comme un autre, Paris, Le Seuil