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GASTON FERDIERE PSYCHIATRE épisode 1

Voici donc le premier épisode d'un dyptique écrit par Alain VERNET sur le psychiatre Gaston Ferdière, connu en particulier comme psychiatre d'Antoni Artaud.

Dans ce premier texte, c'est la vie entière de de Gaston Ferdière qui est globalement mise en lumière. Le second texte, publié en septembre prochain, s'intéressera à un moment scabreux de son exercice professionnel : celui d'une première lobotomie réalisée en 1939.

Gaston Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud

Episode 1 : Ombres et lumières d’une biographie


Par Alain VERNET

Alain VERNET a exercé pendant 42 ans la profession de psychologue clinicien, dans divers services hospitaliers; retraité depuis août 2020 il continue à avoir une pratique d'expert judiciaire, étant par ailleurs titulaire d'un DESS de Droit Médical.

Article référencé comme suit :
Vernet, A. (2021) « Gaston Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud. Episode 1 : Ombres et lumières d’une biographie » in Ethique. La vie en question, juillet/août 2021.

Gaston Ferdière (1907-1990), est un médecin-psychiatre (1), surtout connu comme ayant été le psychiatre d’Antonin Artaud (2) (3) (4) à l’asile départemental d’aliénés de Rodez, mais aussi de Hans Bellmer  et Unica Zum , artistes plasticiens d’origine allemande, ayant émigré à Paris, où ils participèrent au mouvement surréaliste, mouvance artistique dont Ferdière était proche.
Il passera les dernières années de sa vie à Héricy, près de Fontainebleau, où l’auteur de ces lignes eût l’occasion de le rencontrer, dans les années 1984/1986. Gaston Ferdière était alors un vieux monsieur présentant un aspect très artiste du temps des années folles (longs cheveux blancs, et un aspect dandy, très soucieux de sa mise vestimentaire) qui vivait dans une sorte de capharnaüm, entouré de livres, de papiers, de tableaux, d’objets divers, hétéroclites, art naïf, art africain, objets utilitaires rustiques, minéraux, objets paléolithiques ou néolithiques, etc. A l’époque il était vice-président de la Société Française de Psychopathologie de l’expression , ce qui ne surprend pas d’un pionnier de ce qui allait devenir l’art-thérapie.

Un psychiatre passionné d’art et de littérature, ami de nombre de Surréalistes

Ce stéphanois, dont les grands-parents maternels furent propriétaires du mythique café Riche, à Paris (4), à l’angle de la rue des Italiens et de la rue Le Peletier, avait fait ses études à Lyon, et, par suite d’une maladie neurologique de sa mère, s’intéressa très rapidement aux maladies de l’encéphale et du système nerveux, donc à ce qui était alors la neuropsychiatrie . Il fut un médecin engagé et contesté, passionné d’art et de littérature, ami de nombre de Surréalistes. Ce fut en particulier le cas avec Robert Desnos. En revanche il n’eut jamais grande complicité, ni avec Breton, ni avec Aragon (rivalités de médecins, ou de qui avait commencé des études de médecine ?), quoiqu’ avec Aragon ce fut surtout après l’adhésion de ce dernier au communisme stalinien. Est-ce le peu d’affinité de Ferdière avec Breton, lui aussi médecin, mais proche de Jean Paulhan, qui prévint ce dernier contre lui ? Compte-tenu de la tendance de Breton à exclure et lancer l’anathème, l’hypothèse ne peut être exclue. Ferdière par ailleurs aurait ambitionné une carrière littéraire. On peut dire en effet qu’il taquina la muse, publiant plusieurs recueils de poésie ; mais s’il fut un auteur plaisant, sans doute n’eut-il pas ce talent d’innovation et de critique radicale des formes, qui sera la marque de fabrique du surréalisme ; il fut trop classique, pour une époque qui remettait en cause les canons et les formes littéraires (5). Considéré comme un poète par les psychiatres, et comme un psychiatre par les écrivains, il ne fut reconnu ni par les uns, ni par les autres.
Son intérêt pour la création artistique et fictionnelle a accompagné et soutenu un constant intérêt pour les productions de l’esprit, qu’il a toujours placé dans la perspective d’une réappropriation de soi, d’une expression de la liberté, ce qui ne saurait surprendre de la part de l’humaniste qu’il fut (6) cherchant toujours à soutenir, promouvoir, défendre l’humanité en l’homme, ainsi que l’autonomie et la créativité de ses patients, persuadé, ainsi que l’écrivait le grand psychiatre Henri Ey, que les maladies mentales sont d’abord des « pathologies de la liberté ».

Un engagement politique progressiste

Son engagement progressiste, proche du PCF (Parti Communiste Français), même s’il évoluera progressivement vers un conservatisme qu’on pourrait dire de déception, se manifesta jusque dans les années d’après-guerre. Interne en psychiatrie à l’asile de Villejuif, dans le service du Docteur Paul Guiraud , habitant cette ville, il y fit la connaissance du maire PCF, dont il deviendra l’ami, Paul Vaillant-Couturier.
Il est affecté ensuite à l’hôpital Sainte Anne, dans le service du Docteur Ducoste (lequel est cité par Freud dans l’interprétation des rêves). Il se trouvera dans un maelstrom d’idées et un bouillonnement théorique, avec ceux qui allaient compter dans la discipline : Jacques Lacan, Henri Ey, Georges Daumezon etc. Notons au passage que les murs de l’internat de Sainte Anne seront décorés par leurs amis peintres surréalistes… (décoration qui disparaîtra au moment de l’occupation). En 1936 il accompagnera Julian de Ajuriaguerra  en Espagne républicaine, afin d’en étudier les besoins sanitaires, et, à son retour, lèvera des fonds afin d’aider ce pays. Ceci lui sera reproché par son chef de service, le Professeur Henri Claude, lequel empêchera qu’il puisse obtenir un poste universitaire. Qui plus est Ferdière participa à la fondation du Collège de Sociologie avec Bataille, Caillois, Leiris  ; et pire encore, tous les jeudis il assure une consultation à destination de la population ouvrière de la banlieue nord, au dispensaire de Clichy (où exerce un autre médecin avec lequel il ne sympathisera jamais : le Docteur Louis-Ferdinand Destouches, plus connu sous le nom de Céline). En outre auparavant, au début de ses études, il avait créé, avec Jacques Soustelle, une amicale des étudiants socialistes de Lyon (4).
Aussi, une carrière universitaire ne lui étant plus possible, (d’autant plus qu’à cette époque, son épouse le quitte pour vivre avec Henri Michaux, rencontré chez Claude Cahun ). Gaston Ferdière demande à intégrer le corps des médecins aliénistes, et en 1938, il est nommé médecin-directeur à Chézal-Benoit où il rencontrera celle qui deviendra sa seconde épouse, alors interne dans l’établissement. Cet établissement est dépendant des hôpitaux psychiatriques du département de la Seine, et considéré comme une « colonie agricole » où l’on oriente les malades stabilisés, pour la plupart des hommes, qu’on emploie aux travaux agricoles.

Un vif intérêt pour ce qu’on ne nomme pas encore « l’art-thérapie »

Ferdière, continuera cependant à être très présent à l’hôpital Sainte Anne, à Paris, et continuera à fréquenter les milieux surréalistes, dont Desnos, Breton, Aragon, Tzara, etc. Il sera un précurseur dans certaines thérapeutiques, comme l’utilisation de l’art comme moyen d’expression des patients dont il encouragera la création et il organisera à Sainte Anne, en 1938, une exposition d’art brut, avec les œuvres de ses malades – il avait d’ailleurs fait le projet d’un musée de psychiatrie, sur le modèle du musée des arts et traditions populaires, projet qui avait retenu l’intérêt de Jean Zay, alors Ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts. L’art par les patients devenait une mode ; et celui qui l’avait lancée était le Docteur André Marie (1865-1934), Médecin-Chef à l’asile de Villejuif, par ailleurs créateur des établissements dits « colonies familiales » de Dun-sur-Auron et Ainay-le-Château, lequel possédait la plus célèbre collection d’art des malades mentaux, et qui avait ouvert à Villejuif un « petit musée de la folie ». Cette collection sera donnée par sa veuve en 1966 à la collection d’art brut. A l’occasion d’une exposition d’art des malades mentaux organisée par le Docteur André Marie, André Breton sera l’un des premiers acheteurs. Mais le pionner de cet intérêt est tout de même le Docteur Hans Prinhorm, à Heidelberg, imité par le Dr Walter Morgenthaler à Berne, avec le patient Adolphe Wölfly. On peut citer également Marcel Reja, alias Paul Meunier, confrère de André Marie à Villejuif, le Dr Requet au Vinatier à Lyon, avec le patient Sylvain Fusco, Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis à Clermont de l’Oise, les Drs Bonnafé, Tosquelles, Dubuisson, à Saint Alban et les patients Auguste Forestier, Aimable Joyet, Marguerite Sirvens, Clément Fraisse. C’est le peintre Jean Dubuffet qui popularisera cet art, en le faisant connaître notamment à Jean Paulhan, Raymond Queneau, André Breton, sous le vocable « d’art des fous » après une visite rendue en 1945 à Artaud et Ferdière, lequel lui conseillera de se rendre à Saint Alban. De son côté, Eluard, réfugié un temps, durant l’occupation au sein de l’asile de Saint Alban, avait parlé de certaines de ces œuvres à Picasso.
Même si cet intérêt pour ce qu’on ne nomme pas encore l’art-thérapie, et qui est plus un encouragement à la création des malades mentaux est dans l’air du temps, pratiqué dans divers établissements psychiatriques, s’y intéresser montre déjà, en soi, une ouverture d’esprit, un refus des routines et des habitudes, une curiosité pour la modernité et les innovations scientifiques et thérapeutiques, et, de ce fait, on ne doit pas être étonné que Ferdière s’intéresse aussi à la lobotomie, comme le montrera la communication évoquée dans un second article (Vernet, A. (2021) « Gaston Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud. Episode 2 : 1939, une première lobotomie documentée en France » in Ethique. La vie en question, août 2021), mais aussi à  l’électroconvulsicothérapie (électrochocs), notamment sur son patient Antonin Artaud, ce que ce dernier lui reprochera vertement dans Lettres au docteur Ferdière et Nouvelles Lettres de Rodez, relayé par Isidore Isou. Là naît certainement la part sombre que l’on fera porter à Gaston Ferdière.

Un esprit de résistance

Au moment de la deuxième guerre mondiale, l’attitude de Gaston Ferdière sera pourtant plus qu’honorable. D’abord il ouvre, au sein de l’hôpital de Chézal-Benoit un hôpital de campagne pour les blessés de l’exode, mitraillés sur les routes par les Stukas allemands. Puis alors qu’à partir de l’occupation, la famine s’accroit progressivement dans les hôpitaux psychiatriques français , d’autant plus que la production des fermes rattachées aux hôpitaux psychiatrique est réquisitionnée par le Ravitaillement National, il réussit à éviter la famine (7) à Chézal-Benoit, en pratiquant à grande échelle le marché noir, échangeant dans les fermes des alentours les tickets de rationnement attribués aux malades (notamment de tabac) contre des pommes de terre. Ceci lui vaudra d’être condamné en début 41 pour marché noir par la Justice de Paix du Châtelet en Berry. Ceci contribue à sa mauvaise réputation, et s’ajoute à ce qu’on sait de ses idées, que les rapports de l’époque disent « socialo-communistes », et au fait qu’il héberge un ancien officier de l’armée de la République espagnole. A cause de tout cela il sera muté disciplinairement à l’asile de Rodez, à la demande du Sous-Préfet de Saint Amand Montrond qui, dans ses rapports, le qualifie de « socialo-communiste ». En outre il participera à la Résistance, à la demande de Jane Sivadon, sœur de son confrère Paul Sivadon, son homologue (Médecin-Directeur) de la « colonie familiale » d’Ainay-Le-Château, en aidant au passage de la ligne de démarcation, qui se trouvait à proximité de Chézal-Benoit.
C’est à Rodez qu’il accueillera Antonin Artaud en février 1943. En effet, alors qu’Artaud interné à Ville-Evrard est en train d’y mourir de faim, Robert Desnos et Jean Paulhan, alertent Ferdière, en lui demandant de prendre Artaud en charge. Ferdière réussira à faire transférer Artaud à Chézal-Benoit, où il arrive le 22 janvier 1943, et d’où il sera exfiltré pour Rodez le 10 février à 22h00. Ferdière accueillera Artaud à sa table, et, le reconnaissant encore comme un homme, le ramènera du côté de l’humanité, mais surtout lui permettra de ne pas mourir de faim comme tant d’autres (Camille Claudel, morte de faim à l’hôpital de Montfavet, Sylvain Fusco, à l’hôpital du Vinatier à Lyon, Séraphine de Senlis, à l’hôpital de Clermont de l’Oise etc.), lui donnera du tabac, du papier, l’autorisera à se promener librement dans Rodez alors qu’à cette époque les hospitalisations en psychiatrie se font sous le régime de l’internement. Est-ce ce dernier régime, sont-ce les électrochocs, en tout cas Artaud, qui n’avait plus aucune activité de création, se remettra à écrire. Par ailleurs Ferdière abrita, au sein de l’hôpital psychiatrique de Rodez, des artistes évadés, qui avaient besoin de se cacher (dont le peintre Frédéric Delanglade, peintre de la mouvance surréaliste). Si bien qu’on peut dire qu’à Rodez régna un esprit de résistance comparable à celui qui régnait à l’hôpital psychiatrique de Saint Alban sur Limagnole, en Lozère, qui avait accueilli, autour de Paul Balvet et Lucien Bonnafé, le psychiatre réfugié catalan François Tosquelles, le poète Paul Eluard, le philosophe Georges Canguilhem, Denise Glaser (8), etc.


En marge de l’essor de la psychiatrie institutionnelle à la française

 

Mais si la psychiatrie française allait trouver à Saint Alban le levain de ce qui amènerait sa transformation, Ferdière allait rater cette transformation, s’installant en activité libérale. C’est là un mystère : affaire de génération, de personnalité, ou effet d’une certaine solitude ? Alors qu’à Saint Alban, se constitua une équipe en fusion, portée par le militantisme, stimulée par ces pensées diverses que les événements faisaient se croiser dans l’hôpital, Ferdière passera à côté de la psychiatrie institutionnelle : lassitude après une vie trop riche d’engagements ou amertume après les critiques concernant sa prise en charge d’Artaud ?
Car, exception faite de quelques conférences comme l’une d’entre elle faite à Châteauroux, mais aussi du rapport présenté avec Henri Wallon le 1er février 1945 au 1er congrès du Front National - Organisation qui fédérait diverses composantes de la Résistance, sous l’égide du Parti Communiste Français - sur « la grande pitié des hôpitaux psychiatriques français », et à son combat pour qu’on cesse d’honorer cet autre lyonnais qu’était Alexis Carrel , on n’entendra plus beaucoup parler de Gaston Ferdière. En 1947, il s’installera en pratique libérale à Anglet, dans le Pays Basque, revenant à Paris en 1961, en pratique libérale, tout en continuant d’assurer des consultations dans les ancêtres des CMP (Centre Médico-Psychologique) qu’étaient les Dispensaires d’Hygiène Mentale. Il prendra sa retraite en 1976, et continuera à participer à des colloques, notamment d’art-thérapie, et organisera même un congrès dont le thème sera « éthique et psychiatrie ».
On le retrouvera en 1978 sur le plateau d’Apostrophes pour présenter ses Mémoires, Les mauvaises fréquentations, mémoires d’un psychiatre (6), dans la mémorable émission au cours de laquelle un Bukowski ivre mort était l’invité principal.
Ferdière était à l’évidence un humaniste, c’est-à-dire imprégné de l’esprit de la philosophie des lumières : rationalité, autonomie, libre-arbitre, droits de l’homme. Un homme conforme à l’impératif catégorique kantien. La maladie mentale étant considérée comme une pathologie de la liberté qui aliène le libre-arbitre de l’homme, le soin psychiatrique doit avoir pour finalité qu’il le retrouve et puisse à nouveau s’appartenir, donc retrouver l’autonomie de sa volonté.
Ferdière sut s’engager pour ses idées, lui qui considérait la culture comme un outil de libération et de progrès de l’homme, et comme un marqueur d’humanité, en témoignant qu’elle pouvait mériter qu’on se batte et qu’on meure pour elle (exemple de cette conférence qu’il fit à Châteauroux le 29 mai 1945 et mettant en valeur des intellectuels de la résistance).


CONCLUSION


La représentation négative qu’on a pu avoir de Ferdière, telle qu’elle fut construite par Artaud, et plus encore par les amis, puis admirateurs de ce dernier, le représentait d’un point de vue professionnel, comme quelqu’un d’assez peu fiable, jouant à l’apprenti-sorcier, aussi bien pour ce qui concerne cette pratique de la lobotomie (que nous verrons dans un second article), que, quelques années plus tard, pour la pratique de la convulsivothérapie (les électrochocs).
D’un point de vue personnel, il a été également présenté comme quelqu’un de peu respectueux de la personne humaine, de ses droits et libertés. Mais compte-tenu du parcours qui fut celui de Ferdière, de ses engagements concrets, des valeurs dont il se réclamait, et qu’il défendit, sa communication qui valorisera la lobotomie dans son caractère paradoxal, montre toute la complexité d’une personnalité.
Ferdière n’ayant jamais recommencé une telle expérimentation de la lobotomie, n’a peut-être finalement pas été convaincu de l’intérêt de la méthode (mais alors pourquoi en avoir fait la matière d’une communication aussi peu critique ?), à moins qu’il n’ait fini par considérer qu’elle entrait en contradiction avec ses propres conceptions.
Il y a dans le parcours professionnel de cet homme une sorte de tragédie, et même un drame, une souffrance, perceptibles dans ses contradictions, et plus encore dans les représentations qu’il va laisser de lui-même comme psychiatre d’ Antonin Artaud, à travers le prisme négatif des amis de ce dernier (notamment Jean Paulhan) : l’image d’un tortionnaire, alors même qu’il était un médecin soucieux de ses malades, de leur bien-être, et certainement de leur dignité, cherchant à leur faire retrouver leur liberté, liberté d’être et de s’exprimer, liberté de création, malgré et en dépit de la maladie mentale. Sa situation par rapport à Antonin Artaud est l’exemple même de cet antagonisme tragique : alors que c’est lui qui permit à Artaud de survivre, et de vivre, et qui lui permit de retrouver une activité créatrice, il est considéré comme celui qui se comporta avec Artaud sans bienveillance, et sans humanité. Avec le recul du temps on peut admettre qu’il fut injustement considéré, et que la lassitude qui, peut-être, l’amena à rentrer dans l’anonymat d’une pratique de cabinet libéral, se soldât par ce que nous pourrions appeler un gâchis.

C’est en repérant ses grandes qualités humaines qu’apparaît tragique, et nous l’avons dit, un véritable gâchis, cette absence (assez incompréhensible, inexplicable même) dans ce grand mouvement de rénovation de la psychiatrie française d’après-guerre. Cette dernière allait après la guerre être caractérisée par une ouverture sur la vie, tant pour la pratique de la psychothérapie institutionnelle, quand la liberté, la vie démocratique, la vie tout simplement, se mirent à réinvestir les espaces des hôpitaux psychiatriques, que pour la pratique du secteur psychiatrique, quand l’hôpital revint dans la ville, dans la vraie vie, au plus près de celle-ci, quand le malade fut replacé au cœur de la société, dans laquelle être un peu moins étranger.
Est également incompréhensible le repli de Ferdière dans une pratique professionnelle sans aspérité, invisible, presque tranquille, trop tranquille après ces périodes d’incandescence. Silence amer de la déception ? Souci d’un bonheur quelque peu domestique ? Lassitude d’une vie trop remplie et trop vite ?
Nul ne sait le secret de nos vies ! Si la pratique de la lobotomie n’est pas sans faire surgir un questionnement éthique, la trajectoire de Gaston Ferdière illustre tout autant une interrogation éthique.

A lire en septembre le second article sur Ferdière au sujet de cette expérimentation de la lobotomie :
Vernet, A. (2021) « Gaston Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud. Episode 2 : 1939, une première lobotomie documentée en France » in Ethique. La vie en question, sept. 2021.

BIBLIOGRAPHIE

(1)    Venet E. Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud, Lagrasse (11), Editions Verdier, 2006
(2)  Artaud A., Nouveaux écrits de Rodez, Paris, Gallimard, collection l’imaginaire, 1994, première parution 1977
(3) Roumieux A., "Au-delà des murs, la mémoire", in Artaud et l’asile, T.1, Paris, Nouvelles Editions Séguier, 1996
(4) Douchin L., "Le cabinet du Docteur Ferdière", in Artaud et l’asile, T.2, Paris, Nouvelles Editions Séguier, 1996
(5) Vernet A., Servier J.P., « Gaston Ferdière, psychiatre libertaire », La Bouinotte, N°130, Châteauroux, hiver 2016
(6) Ferdière G., Les mauvaises fréquentations, « mémoires d’un psychiatre, Paris, Editions J.C. Simoën, 1978
(7) Von Buelzingsloewen I., L’hécatombe des fous, Paris, Aubier, 2007
(8) Daeninck D., Caché dans la maison des fous, Paris, Editions Bruno Doucey, 2015