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Protection juridique pour l'embryon

Faut-il une protection juridique spécifique pour l'embryon humain ?

Par Valérie VIACCOZ

 

"Faut-il une protection juridique spécifique pour l'embryon humain ?"

 

Un article qui nous vient de la Suisse et qui nous éclaire sur le cadre actuel et ses horizons en matière de droit européen (suisse, anglais, français) et de droit international sur l'embryon.

L'auteure :

Valérie VIACCOZ est titulaire d'un Bachelor et d'un Master en droit de l'Université de Fribourg (Suisse). Elle s'est intéressée tout particulièrement au droit de la famille suisse et comparé, aux problématiques relatives aux droits de l'Homme ainsi qu'au droit des migrations. Elle a développé dans le cadre de son Master son intérêt pour les questions éthiques auxquelles le droit fait face quotidiennement. Elle se forme actuellement en vue d'obtenir le brevet d'avocat en Suisse.

 



"Faut-il une protection juridique spécifique pour l'embryon humain ?"



L'article est le résumé-condensé d'une étude plus exhaustive que nous aurons le plaisir de vous présenter dans la revue ETHIQUE. LA VIE EN QUESTION, dans les mois à venir.

La question du statut juridique de l'embryon humain se pose

Le droit à la vie est garanti de manière absolue par la plupart des instruments supranationaux de protection des droits de l'homme. Cependant, aucune de ces conventions ne définit la notion de vie. La Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) fait expressément référence à la vie des personnes alors que les autres instruments de protection des droits de l'homme mentionnent un droit à la vie général. Se pose alors l'éternelle question du commencement de la vie et des conséquences qui en découlent. A partir de quel moment la vie doit-elle être protégée ? Ne doit-on protéger que la vie des personnes vivantes, c'est-à-dire nées et viables, ou cette protection doit-elle également s'étendre à la vie naissante, à savoir avant la naissance effective de l'enfant ?

Ces questions sont délicates. En effet, en fonction de la réponse qui leur est donnée l'utilisation de certaines méthodes médicales peuvent être interdites ou autorisées. Ainsi en est-il des traitements visant à faciliter la procréation ou des recherches sur les embryons humains. De plus, une réponse impliquant une protection accrue de l'enfant à naître risque de remettre en cause les fondements de l'autorisation de l'interruption de grossesse.

C'est dans ce contexte que se pose la question du statut juridique de l'embryon humain. Cette expression réfère au degré de protection garanti par la loi à la vie humaine avant la naissance. Or, la personnalité juridique s'acquiert généralement au moment de la naissance. La naissance effective de l'enfant vivant marque donc son existence en tant que sujet de droits et d'obligations.

Une protection est cependant généralement admise pour l'enfant conçu mais non encore né dans le but de lui reconnaître la succession de ses ascendants décédés avant sa naissance ou dans le but de le protéger contre des atteintes à son intégrité. Le degré de protection accordé à l'enfant à naître n'est toutefois pas identique dans les différents Etats. Il n'existe en outre pas de consensus au niveau européen, et encore moins au niveau international concernant la protection qui doit être accordée à ces embryons.


Certaines "choses" bénéficient d'une protection juridique accrue

Ni l'embryon in vitro, ni l'embryon in vivo ne sont des personnes au sens juridique de la notion, c'est-à-dire des êtres au bénéfice de la personnalité juridique et titulaires de droits, quel que soit l'ordre juridique que l'on considère. En principe, dans le domaine juridique, si une entité n'est pas une personne, il s'agit d'une chose. Or, certaines choses bénéficient d'une protection accrue, indépendamment de l'existence de la personnalité juridique. C'est le cas de l'embryon humain qui, en raison de sa nature humaine, est protégé de manière particulière. S'agissant de l'embryon in vitro, le degré de protection qui lui est reconnu dépend de sa situation dans le projet parental du couple géniteur. En effet, l'embryon in vitro qui ne fait plus l'objet d'un projet parental verra sa protection diminuer jusqu'à l'admission de sa destruction dans les cas où l'embryon ne peut plus être utile. Au contraire, la potentialité d'être humain de l'embryon faisant partie d'un projet parental lui garantit une protection plus importante.

Cependant, quelles que soient les solutions juridiques adoptées, dès le moment où plusieurs embryons sont conçus in vitro afin de combler le désir d'un couple infertile d'avoir un enfant, les embryons sont instrumentalisés. La protection qui est accordée aux embryons ainsi créés a donc comme but de minimiser leur instrumentalisation. Il s'agit en effet de la difficile mise en balance des intérêts de protection de la vie humaine et de dignité avec celui de la liberté de la science. Ainsi, alors que les Etats et les entités internationales s'accordent pour admettre la nécessité d'une certaine protection de l'embryon, la manière dont celui-ci doit être protégé et le degré de protection auquel il a droit diffèrent.

L'embryon en droit anglais

Le Royaume-Uni est l'un des Etats les plus libéraux dans ce domaine. Contrairement au droit français ou au droit suisse, le droit anglais ne contient pas de principes généraux de protection de la dignité humaine ou de respect de la vie humaine qui pourraient inclure l'embryon in vitro. L'HFE Act se contente de lister les interdits et les pratiques autorisées. Il en ressort une grande liberté en matière de recherche scientifique et une marge de manoeuvre importante dans le domaine de l'autonomie de reproduction. Si une certaine protection de l'embryon émane du droit anglais, c'est davantage dans le but de limiter les risques d'eugénisme, notamment en lien avec la sélection des embryons, que réellement en raison de sa nature humaine.

Cette constatation découle du fait que la création de chimères ou d'hybrides ainsi que le clonage thérapeutique sont possibles en droit anglais, pratiques ayant pour effet d'altérer la nature humaine de l'embryon humain. De plus, l'instrumentalisation de l'embryon est bien présente en droit anglais puisqu'il autorise la création d'embryons à des fins de recherche. S'agissant de la protection de l'embryon contre des pratiques eugéniques, il convient de rappeler que le parlement anglais a le pouvoir d'autoriser les modifications génétiques sur l'embryon dans le cadre de la recherche, ce qui peut ouvrir la voie à une forme d'eugénisme. Il semble de ce fait difficile de déduire du droit anglais la promotion d'un statut quelconque de l'embryon humain, les intérêts de la recherche et de l'autonomie procréative primant pour une large part sur ceux de la protection de l'embryon. La seule interdiction catégorique du droit anglais est celle de l'interdiction du clonage, qui a cependant plus pour but de protéger l'intégrité de la race humaine que l'embryon lui-même.

L'embryon en droit français

Les autres systèmes de droit étudiés semblent quant à eux être plus concernés par la question de la protection de l'embryon humain, tout en respectant dans une certaine mesure la liberté de la science afin de demeurer compétitif sur le plan de la recherche internationale. Ainsi, le droit français permet la conservation des embryons, ainsi que le DPI même dans l'hypothèse des "bébés médicaments". Ces pratiques sont toutefois soumises à de strictes conditions. Le droit français n'autorise cependant aucune sélection n'étant pas en lien avec une maladie grave et interdit toute modification génétique de l'embryon ainsi que toute forme de clonage. Il pose le principe de l'interdiction de la recherche sur l'embryon mais permet des dérogations à ce principe soumises à des conditions cumulatives restrictives.

Le législateur français fait preuve d'une volonté très claire de protéger l'embryon contre les abus résultant des avancées scientifiques. Cependant, la loi française fait également ressortir la difficulté de concilier les intérêts de la science et ceux de la vie potentielle de l'embryon humain. Ainsi, le droit français tend à respecter la nature humaine de l'embryon et son intégrité en ce sens qu'il n'autorise pas qu'il soit intervenu "arbitrairement" dans le patrimoine génétique de l'embryon, tout en conservant une marge de manoeuvre raisonnable pour l'autonomie reproductive et la recherche médicale. Apparaît dès lors une volonté de promouvoir un statut de l'embryon sui generis qui permet de le préserver contre les abus et de respecter la vie humaine qu'il pourrait devenir. Toutefois, son utilisation à des fins instrumentales est parfois admise, comme dans le domaine médical lorsqu'il offre la possibilité de soigner des maladies graves incurables qui rendent la vie des personnes qui en sont atteintes très douloureuse.

 

L'embryon en droit suisse

 

Le droit suisse, enfin, possède la législation la plus proche d'une protection quasi absolue de l'embryon humain. En cherchant à ne créer que le nombre d'embryons nécessaires à l'induction d'une grossesse, le système suisse favorise en effet une production minimale d'embryons surnuméraires. De ce fait, aucune sélection d'embryons n'est possible, la conservation de l'embryon n'est pas autorisée, ni en principe nécessaire, et la recherche sur les embryons est limitée à la recherche sur les cellules souches embryonnaires pouvant être prélevées sur le peu d'embryons surnuméraires produits accidentellement. La Suisse adopte donc actuellement une vision très restrictive de la liberté de la recherche et de l'autonomie de procréation. La personne qui souhaite recourir à une fécondation in vitro n'a pas le droit de choisir quel embryon sera implanté dans son utérus et s'il s'avère au cours de la grossesse que celui-ci est atteint d'une maladie grave, elle pourra avoir recours à une interruption de grossesse. Les chercheurs sont quant à eux limités aux cellules souches embryonnaires provenant des quelques embryons surnuméraires produits en Suisse.

La révision de la LPMA aura pour effet d'assouplir ces restrictions. En autorisant le DPI dans des cas strictement définis, elle permettra aux couples d'éviter l'implantation d'embryons porteurs d'une maladie grave et impliquera de ce fait l'existence de plus d'embryons surnuméraires disponibles pour la recherche, avec pour conséquence la fin de l'interdiction de la cryoconservation. La protection de l'embryon s'en trouvera quelque peu diminuée puisque celui-ci pourra être congelé et réimplanté par la suite. Les grands principes du droit suisse visant au développement d'un nombre minimal d'embryons surnuméraires seront toutefois préservés, tout comme les interdictions d'intervention dans le patrimoine génétique de l'embryon. De ce fait, le droit suisse, même après révision de la LPMA, demeurera un droit ayant pour but d'éviter au maximum l'instrumentalisation de l'embryon. Il tente en effet toujours de limiter cette instrumentalisation aux situations où il s'agit d'un moindre mal, l'embryon étant de toute façon voué à sa destruction.

Il convient toutefois de soulever une des incohérences du droit suisse en la matière. Dans le but de prévenir l'éclatement de la parenté, le droit suisse privilégie l'abandon des embryons surnuméraires à la recherche, qui implique forcément leur destruction, au don d'embryon qui permettrait de mettre au monde le fruit de la fécondation de l'ovule conçu par fécondation in vitro. Or, dans une optique de protection maximale de l'embryon telle qu'elle existe en Suisse, il serait plus logique de permettre à cet embryon d'être accueilli par un couple receveur. Cette situation démontre une fois de plus la complexité de prendre en considération tous les intérêts en jeu. En effet, il ne s'agit donc plus uniquement de la mise en balance des intérêts de protection de l'embryon avec ceux de liberté de la science.  La protection de l'embryon humain se heurte ici à la conception suisse de la famille.

L'embryon en droit international

Le droit international et en particulier le Conseil de l'Europe, conscients des problèmes que représentent ces diverses conceptions de la protection de l'embryon humain, tentent pour leur part d'établir un cadre commun pour tous, garantissant une protection minimale de l'embryon humain, sans toutefois parvenir à faire l'unanimité au sein des Etats.

Conclusion

La question sous-jacente à l'ensemble de cette matière est de savoir si, parce qu'une technique est possible, elle est légitime et peut donc être pratiquée. C'est dans ce contexte que l'on se demande s'il est nécessaire de promouvoir le statut juridique de l'embryon afin de garantir que certaines limites ne soient pas franchies. Mais plus encore que le simple statut de l'embryon, c'est le statut de la personne humaine, son intégrité et la valeur de l'être humain qui est mise en cause actuellement par le progrès de la science. Si les modifications génétiques sont admises par exemple, quel est le but qu'elles poursuivent ? Ne risque-t-on pas d'entrer dans une idéologie bioéthique de l'homme meilleur, pouvant être modifié à la guise de ses créateurs ?

Il est vrai que des personnes souffrent de maladies neurologiques ou physiques particulièrement douloureuses et qu'il est dans leur intérêt que la recherche médicale trouve une solution à ces maladies. Il est vrai également qu'il n'est pas logique d'inséminer un embryon pour qu'il se développe jusqu'au stade de foetus pour l'avorter si une maladie est détectée. Mais est-ce que toutes les imperfections humaines doivent être gommées ? Qu'en serait-il d'un monde où chaque personne aurait été formatée pour être la plus performante ?

Bien plus que la simple question du statut de l'embryon humain, il en va de l'avenir de l'espèce humaine. Or, pour limiter les impacts que peut avoir la science sur cet avenir, le droit a l'obligation de mettre en oeuvre ce qui est le mieux. Sans remettre en cause l'importance de la recherche médicale dans ce domaine, il convient de ménager un juste équilibre entre les intérêts en jeu afin de garantir tout de même que l'embryon humain ne soit pas l'objet d'expériences ou de sélections mettant en péril la diversité humaine. Cela n'a pas à se faire par le biais d'une reconnaissance d'une protection absolue de l'embryon. Il suffit de prendre en considération l'embryon humain comme un être potentiel ou une partie du corps humain afin de pouvoir ménager une protection spécifique à son égard, dans le but de le protéger en tant que tel et dans l'objectif de préserver l'espèce humaine d'une idéologie malsaine de la perfection.

 

(1)    Art. 2 CEDH, art. 3 DUDH ou encore art. 6 Pacte II par exemple.

(2)    MARTINHO DA SILVA P., "Statut juridique de l'embryon", in Hottois G. / Missa J.-N., Nouvelle encyclopédie de la bioéthique, Bruxelles, 2001, p. 376.

(3)    C'est le cas par exemple en droit suisse conformément à l'art. 31 al. 1 CC.

(4)    Art. 31 al. 2 CC par exemple.

(5)    MARTINHO DA SILVA P., "Statut juridique de l'embryon", p. 378.

(6)    MASSAGER N., "Droits de l'Embryon", p. 364.