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A propos de l’anorexie

A propos de l’anorexie :

Approches croisées de la phénoménologie et du féminisme

"A propos de l'anorexie : approches croisées de la phénoménologie et du féminisme"

 

 

Par Corine PELLUCHON
Pr. de philosophie à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée

Article paru en français sous le titre “Approches croisées de la phénoménologie et du féminisme dans l’appréhension de l’anorexie” dans JFAB  (International Journal of Feminist Approaches to Bioethics), Special issue on Just Food, vol. 8, 2, 2015, p. 70-85, ET EN ANGLAIS, " Understanding Anorexia at the Crossraoads of Phenomenology and Feminism", in The Routledge Handbook of Food Ethics, collectif sous la direction de Mary Rawlinson, Routledge, 2016, p 82-90.

 

Le texte est accessible en version PDF au bas de l’article



ABSTRACT
À rebours d’une approche strictement médicale de l’anorexie, qui fait la genèse des troubles du  comportement alimentaire, cette étude se focalise sur le rapport aux autres et au corps dont témoignent ces privations alimentaires. Soulignant l’apport de la phénoménologie qui appréhende l’anorexie comme une manière d’être-avec-le-monde-et-avec-les-autres, l’auteure s’appuie sur Un artiste de la faim de Kafka pour montrer que l’anorexie n’est pas seulement ni essentiellement liée à l’idéal de la minceur. Il s’agit d’un problème d’autonomie lié au dualisme âme-corps caractéristique du rationalisme moderne et renvoyant ainsi à des représentations sociales. Une approche féministe de l’anorexie permet d’éclairer la raison pour laquelle les anorexiques sont en majorité des femmes. Il ne suffit pas d’insister sur les rôles sociaux qui expliquent que les femmes d’aujourd’hui cherchent à répondre aux canons de la minceur, mais d’analyser leurs formes d’expression de soi dans des contextes qui font de l’autonomie un idéal difficile à réaliser pour elles.

Mots-clefs: Anorexie, Analyse féministe, Comportement alimentaire, Corporéité

Contrary to a strictly medical approach to anorexia, which views it as a behavioral disorder, this study focuses on relationships with others and with the body that are the expression of its food deprivation. Highlighting the contribution from phenomonelogy, which sees that expression as a way of being-with-the-world-and-others, the author uses Kafka’s A Hunger Artist to show that anorexia is not only or essentially linked to the ideal of thinness. It is a question of autonomy based in the duality of mind/body that is characteristic of modern rationalism, and thus reflected in social representations. A feminist approach to anorexia can explain why the majority of anorexics are women. It is not only important to emphasize the social roles that clarify how today’s women seek to respond to canons of thinness, but to analyze their forms of expression of the self within contexts that make autonomy an unachievable ideal.
 
Keywords: Anorexia, Feminist analyst, Eating Disorder, Corporality.  

 

 
1. Introduction


L’anorexie fait partie des troubles du comportement ou de la conduite alimentaire (TCA) qui sont répertoriés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), publié par la Société américaine de psychiatrie (APA) (DSM-IV et DSM-IV-TR, 1994-2000). Elle figure parmi les troubles cliniques majeurs, à côté de la dépression, du trouble bipolaire, de la schizophrénie et de la boulimie à laquelle elle est associée comme s’il s’agissait de l’autre face d’une même pathologie addictive. Au-delà des critiques que ce rapprochement peut susciter, parce qu’il ne permet pas d’analyser la spécificité du mode d’expression des personnes qui s’imposent ces privations alimentaires, il convient plus largement de discuter la réduction de l’anorexie à une pathologie.
Une telle assertion ne signifie pas que nous ignorions les conséquences dramatiques de la dénutrition ni que nous rejetions l’apport de la psychiatrie et de la psychanalyse qui aident un individu à faire la genèse de son trouble et à démêler les fils d’une histoire qui a pu le conduire à éprouver de la jouissance dans la restriction alimentaire et à instituer l’amaigrissement comme un moyen d’exister (Kestemberg, Kestemberg, Decobert, 1972: 231-32). Cependant, l’hypothèse défendue dans cet article est que la médicalisation de l’anorexie ne suffit pas à l’appréhender. Elle ne permet pas de comprendre pourquoi il y a une fixation sur la nourriture et n’aide pas non plus à savoir comment il est possible d’accompagner la personne et de l’amener à trouver une autre forme d’expression de soi que la privation.
Cette hypothèse, que les faits tendent à confirmer si l’on en juge par le nombre de rechutes qui surviennent après une hospitalisation et ce malgré plusieurs années d’analyse, nous conduit à aborder l’anorexie comme une manière d’être ou un style au sens où le phénoménologue français Henri Maldiney en parle: “Un comportement, une conduite, une parole constituent une certaine manière d’être au monde, une certaine manière d’habiter (…) Son sens se dévoile dans le comment” (Maldiney, 2012: 137). Le style dit le comment et révèle la manière dont une personne habite le monde et son propre corps. Plutôt que de se focaliser sur les symptômes dont souffre l’anorexique et de la contraindre à retrouver un poids “normal,” qui est souvent trop élevé pour elle et qui, comme toutes les normes ou injonctions à la normalité, lui fait horreur, la phénoménologie part de la manière dont la personne existe, est elle-même (Eigenwelt), est présente au monde (Umwelt), et est-avec-les-autres (Mitwelt) (Binswanger, 1971). Que se passe-t-il lorsque l’on applique les formes de la Daseinsanalyse développées par L. Binswanger à l’anorexie?
Soulignant la contribution de cette approche phénoménologique à l’élucidation de ce trouble et son apport sur le plan de l’accompagnement de la personne, nous illustrerons notre propos par l’analyse de la nouvelle de Kafka intitulée Un artiste de la faim. Cette nouvelle met au jour le drame qui se joue dans l’anorexie d’une manière plus claire que tous les ouvrages théoriques qui proposent une explication psychiatrique de ce trouble alimentaire.  Ce drame est un drame de l’autonomie, c’est-à-dire que l’on a affaire à un sujet qui, pour exister et être reconnu, a besoin de s’imposer des privations menant jusqu’à l’extrême maigreur (Pelluchon, 2015: 180-200). Il commence à se restreindre volontairement pour perdre du poids, puis il ne peut plus faire autrement que de se priver de manger. Il s’agira de montrer qu’en dépit des apparences, qui témoignent d’une grande fragilité des personnes anorexiques et de leur faculté de déni, l’ “artiste de la faim” revendique une certaine supériorité sur les autres et refuse, à la différence des personnes boulimiques, de se plier aux normes sociales.
Au lieu de se couler dans les normes, qui sont liées à des rôles socialement construits, et d’étouffer sous le poids de l’injonction d’autrui, puis de “craquer” en ayant une crise de boulimie, l’anorexique restrictive - que l’on reconnaît sous les traits de l’artiste de la faim dans la nouvelle de Kafka - a une puissance de refus qui est proportionnelle à son désir d’être un sujet. Bien plus, elle a un idéal très élevé, lié à l’esthétisation de l’existence et au besoin de nourritures moins triviales que celles qui conviennent au commun des mortels, comme on le voit aussi chez les anorexiques mystiques du Moyen Âge. Non seulement il est vain de demander à une personne de renoncer à son symptôme, auquel elle tient parce qu’il exprime son identité, mais, de plus, il importe de s’appuyer sur la formidable envie de vivre qui gît chez elle afin de l’aider à trouver d’autres modes d’expression de soi que la restriction alimentaire. Une telle démarche suppose également qu’analysant le rapport de la personne à son corps, on réfléchisse aux représentations qu’elle a de l’alimentation qui est une incorporation.  
Témoignant non de l’extériorité des choses, mais de notre réceptivité à elles, l’alimentation est infiniment plus qu’une fonction nutritive. Sa dimension symbolique et affective, mais aussi sociale et culturelle est essentielle. L’alimentation est, en outre, une récusation de tout dualisme âme/corps, intérieur/extérieur, individu/société, raison/affects. L’anorexie est-elle un drame de l’autonomie dont la toile de fond est le dualisme âme-corps si souvent dénoncé par les philosophes féministes? Serait-ce une des raisons pouvant expliquer la focalisation de la personne sur l’alimentation, sa volonté de maîtrise de ses émotions et de ses pulsions rendant le processus métabolique à l’œuvre dans l’alimentation dégoûtant, tandis que la privation alimentaire manifesterait le triomphe de l’esprit sur le corps, du moi sur le monde et les autres, voire sur la vie dont les mécanismes biologiques sont reniés ?
Il conviendra de synthétiser ces éléments d’analyse qui éclairent l’anorexie sous un nouveau jour en insistant sur le fait que, la plupart du temps, ce sont des jeunes filles ou des femmes qui souffrent de ce problème. Quel est l’apport d’une approche genrée de l’anorexie et, plus généralement, du féminisme lequel s’interroge sur les conditions de l’ émancipation des femmes qui rencontrent encore des obstacles à leur volonté d’être reconnues comme des sujets et dont le corps est un des lieux privilégiés de l’expression de soi ?
 

2. Un artiste de la faim et l’anorexie comme drame de l’autonomie

Mal nommer un objet, disait Camus dans L’homme révolté, c’est ajouter au malheur de ce monde. C’est ce qui se passe avec le mot anorexie. Ce mot, qui étymologiquement signifie “absence d’appétit,” induit en erreur, parce qu’il n’est pas sûr que la personne n’ait aucun appétit, au sens propre comme au sens figuré. La faim est domptée ou niée, mais les anorexiques ne manquent pas d’énergie vitale, comme leur hyperactivité l’atteste. Leur désir de vivre est bien manifeste, même s’il prend des formes paradoxales.
Au contraire, si l’on s’appuie sur l’expérience des personnes, comme le fait Binswanger quand il invite ses patients à revenir sur la manière dont ils réalisent leur présence aux choses et communiquent avec les autres, on comprend que les troubles du comportement alimentaire sont l’expression d’une oralité douloureuse et engagent la totalité du rapport de l’individu à lui-même et au monde. Bien plus, cette expression de soi, même si elle a des conséquences morbides, doit être perçue comme relevant d’un style, c’est-à-dire aussi du regard que la personne porte sur le monde. Il s’agit d’une esthétique et des jugements de valeur qui lui sont associés. Ces derniers s’expriment dans des oppositions dur/mou, ferme/flasque, vide/plein, et dans l’idéal de transparence, de pureté, de maîtrise de soi et des pulsions que les anorexiques d’aujourd’hui partagent avec les mystiques du Moyen Âge.
Un artiste de la faim de Kafka permet de comprendre que l’enjeu de l’anorexie est l’autonomie, et non d’abord ou essentiellement le désir d’être mince. Dans cette nouvelle, on voit clairement que la privation de nourriture procure une satisfaction et qu’elle est recherchée pour elle-même, et non, comme dans le jeûne religieux ou politique, en vue d’obtenir la faveur de Dieu ou d’exercer une pression sur le pouvoir ou sur le peuple (Le Barzic et Pouillon. 1998: 103). Comme chez les anorexiques dont la maigreur extrême ne s’explique pas seulement ni essentiellement par la volonté de ressembler aux mannequins, la privation, qui est une rébellion contre les lois du corps, est recherchée au-delà du stade de la minceur et elle procure la jouissance. De même, le fait de s’affamer est, pour le personnage de Kafka, un art.
Devant rester dans une cage et s’affamer quarante jours, l’artiste de la faim ne peut plus faire autrement que de se priver de manger. Il se dépasse “lui-même jusque dans l’inconcevable, car il ne sent aucune limite à sa capacité de s’affamer” et ne parvient pas à se réalimenter à l’issue des quarante jours. Il est “trop fanatiquement soumis à la faim” et ne peut faire comprendre à personne l’art de la faim (Kafka, 1990: 173-74). Car ses privations et son abnégation sont un art et un métier. Il a besoin que les autres hommes admirent le spectacle de son corps décharné et vidé de sa substance. Les éloges qu’il reçoit au début de sa carrière le ravissent et il souffre d’un sentiment d’injustice qui le désespère quand la foule, l’abandonnant, court vers d’autres spectacles et que l’on en oublie de noter les jours pendant lesquels il n’a rien mangé, si bien que “personne – pas même l’artiste de la faim – ne sait ce qu’il a accompli” (Kafka, 1990: 228-29).
Le fait de parler de la privation de nourriture comme d’un art aide à comprendre l’enjeu, pour l’anorexique, de la privation de nourriture. Les restrictions expriment surtout sa revendication d’originalité. D’une certaine manière, le désir qu’elle a d’être mince est accessoire. Non seulement toutes les femmes qui commencent un régime ne deviennent pas anorexiques, mais, de plus, il y a, dans l’anorexie, une revendication d’originalité qui passe par l’affirmation de sa capacité à défier les lois de la nature, mais aussi à vaincre ses pulsions. Quand on ne comprend pas que l’anorexie, en particulier dans sa forme restrictive, est pour la personne une manière d’exister et une façon de sculpter sa vie, d’en faire un spectacle ou un objet à contempler, on passe à côté de sa signification philosophique.
L’anorexique, dans son obsession de la maîtrise et sa toute-puissance, ne veut pas voir qu’elle est en danger de mort et que les complications auxquelles elle s’expose font qu’elle rencontrera de plus en plus d’obstacles à ses projets. En outre, ce qui a commencé par la liberté devient une nécessité, à laquelle l’artiste de la faim est soumis aussi fortement que s’il s’agissait d’une addiction à la drogue. Il n’y a plus de limites à cet art, dont la maîtrise, écrit Kafka, ne diminue pas à mesure que l’on vieillit. En ce sens, l’analogie avec la drogue est pertinente. Elle suggère que la personne ne peut sortir de cet engrenage toute seule. Cependant, cette analogie, qui explique qu’il soit aussi difficile pour une anorexique d’arrêter de se priver de manger que pour un toxicomane d’arrêter de consommer de l’héroïne, présente deux inconvénients.
Le premier est qu’elle passe sous silence le fait que l’anorexie se distingue des autres addictions (drogue, alcool, jeu, sexe), où la personne est dépendante d’un produit ou d’une activité. L’anorexie est bien une addiction, mais c’est de la privation dont l’anorexique est dépendante. En outre, à la différence des drogués ou des personnes qui se ruinent en jouant au casino, l’anorexique est fière de son addiction (Kestemberg, Kestemberg, et Decobert, 1972: 231-32). C’est pourquoi elle se présente comme une artiste de la faim, qui veut être reconnue comme telle. De la même façon que les drogués ne pensent qu’à se procurer leur dose, l’anorexique organise sa vie autour de la nourriture. Cependant, elle résiste à la nourriture et ne cède devant aucun plat. Son obsession est de se priver. Bien souvent, elle cuisine pour les autres et se préoccupe de ce qu’ils mangent. Sa fierté et son identité sont dans la privation. Elle n’a pas à s’abaisser pour s’empêcher de manger, contrairement aux toxicomanes qui volent ou se prostituent. De plus, elle jouit de la privation.
Cette caractéristique distingue les anorexiques des boulimiques qui peuvent voler de l’argent pour se procurer des quantités astronomiques de nourriture afin de l’ingérer et, dans certains cas, de vomir. Les boulimiques présentent une structure plus proche de celle des drogués que les anorexiques. L’anorexique restrictive est une personne qui cherche à dominer son corps pour exister aux yeux des autres. Qu’il y ait un drame familial derrière cette histoire conduisant une personne à s’abstenir presque de toute nourriture pour s’affirmer comme un sujet et que ce drame soit un drame de l’identité, lié à la difficulté qu’elle a éprouvée à se sentir reconnue dans sa singularité, ne suffit pas à comprendre la persistance des symptômes anorexiques depuis le Moyen Âge.
L’anorexie est une pathologie de l’emprise, rattachée à la violence qu’a ressentie une personne qui ne parvenait pas à se faire accepter pour elle-même. Dans un premier temps, elle s’est efforcée de répondre à ce que l’on n’attendait d’elle, puis elle a eu le sentiment de se perdre, de ne plus savoir qui elle était. Le modèle de l’enfant sage, de la bonne élève qui fait tout ce qu’on attend d’elle et réussit à l’école, est fréquent chez les adolescentes anorexiques. C’est en ce sens qu’on peut parler à leur propos d’un faux self (Brusset, 2008: 176-77). Elles ont tout fait pour répondre à ce qu’on leur demandait, souvent sans originalité ni passion, mais elles ne se retrouvent plus et “craquent” en s’opposant violemment à l’injonction de leurs proches et de la société. Le refus de se nourrir est une attaque contre les parents, contre ce qu’ils attendent ou attendaient de soi, et l’expression d’une envie d’exister qui a du mal à s’exprimer de manière positive, en étant autre chose qu’un cri de douleur ou d’opposition. L’aspect décharné du corps suffit à manifester cette opposition et même à reprendre le contrôle sur les autres qui ont cherché à assujettir le sujet ou qui l’ont fait disparaître sous des injonctions et des normes.
Dans l’anorexie, il faut donc voir la rébellion contre un faux moi que la personne a endossé et qui ne lui convenait pas, mais aussi la révolte contre ceux qui n’ont pas écouté ce qu’elle avait à offrir ou à dire. Ce drame de l’autonomie et de la reconnaissance n’exclut pas la violence de l’anorexique qui renvoie à ses proches le spectacle culpabilisant de son corps décharné et se venge ainsi de la dépendance qui l’a étouffée. Elle a souffert de ne pas être considérée, elle a eu le sentiment qu’on la faisait taire et elle-même réussissait bien à ce jeu, mais elle n’en peut plus. Aussi, aucun aliment ne passera par sa bouche qui restera bâillonnée.
Cette interprétation qui fait de l’anorexie une maladie de l’emprise est partagée par les meilleurs spécialistes de ce trouble. Cependant, quand on s’efforce de ne pas regarder seulement les symptômes et que l’on met en évidence la formidable envie de vivre qui anime les anorexiques, on voit bien que ce qui est en jeu philosophiquement dans l’anorexie est l’autonomie. Il ne s’agit pas de dire que le sujet a manqué d’autonomie ou n’a pas réussi à affirmer son autonomie, mais, au contraire, qu’il la revendique :  il ne veut pas coller aux standards de la vie qu’on lui présente comme étant la norme.
Aucune guérison ne peut être durable si l’on ne comprend pas que la personne tient à son symptôme qui lui a permis de s’affirmer comme un sujet. Au lieu de lui imposer une norme qui signifie pour elle que sa demande d’autonomie est rejetée, l’objectif de l’accompagnement est de lui donner les moyens de s’affirmer autrement. L’idée n’est même pas qu’elle “guérisse,” comme si le fait d’atteindre un poids normal était une nécessité, mais de faire en sorte que sa vie et sa liberté ne soient pas menacées par les conséquences de la dénutrition.
En considérant que l’anorexie est un style, on ne cherche pas à encourager la personne à s’accrocher à son symptôme, mais à permettre un changement dans l’expression de soi et, tout d’abord, à combattre la résistance de la personne au changement. Car l’une des caractéristiques des anorexiques est leur tendance à s’enfermer dans des habitudes, dans un cadre de vie contraignant, avec des rites qui les rassurent mais manifestent aussi leur peur du changement. Le changement, qui est l’essence de la vie et qui s’opère également dans notre corps avec l’alimentation, est, pour elles, inacceptable. Le corps est figé, comme si les changements, à commencer par le métabolisme, étaient forcément des pertes et qu’ils marquaient la faillite du sujet, son impuissance. Au lieu de compter les calories que la patiente devrait ingérer et de ne traiter que les symptômes, il est capital de l’écouter.
Il n’est pas rare que la personne présentant une oralité douloureuse se sente mal comprise par les autres. Elle manque souvent de confiance en soi et dans les autres. Aussi ne laisse-t-elle rien passer par la bouche. Elle a peur de se remplir ou bien elle engloutit la nourriture pour combler un vide. C’est pourquoi tout ce qui lui impose une norme la brutalise, la confortant dans l’idée qu’elle se fait du monde, des autres et d’elle-même et l’isolant davantage. Plutôt que de demander à une anorexique de prendre du poids et de respecter la ration de 2000 kilocalories par jour, il semble plus pertinent de travailler sur ce qui fait obstacle à toute réduction de l’amaigrissement (Lalau, 2012).
Ainsi, l’oralité douloureuse est une manière d’être au monde et de se rapporter à soi et aux autres, la relation à l’alimentation étant l’expression sur le plan du sentir de ce mode d’être. Le vécu de la personne dans son rapport à l’alimentation et à son corps, en particulier à son estomac, est le point de départ de cette manière d’être qui fait de l’oralité le paradigme à la fois de notre vulnérabilité et de notre capacité à jouir et à agir, la difficulté pour le sujet étant d’accepter les deux sans culpabilité. Il s’agit ensuite de voir comment, en travaillant sur les représentations que nous avons de l’alimentation, nous pouvons non seulement mieux manger, mais aussi mieux vivre.
 


3. Une approche genrée du problème

Cet enjeu lié à l’autonomie et cette obstination des anorexiques sont communs aux anorexiques mystiques et à celles d’aujourd’hui qui ne croient pas forcément en Dieu. Le refus des normes, qui passe par le refus de ressembler aux autres et d’avoir des formes, est aussi un refus des fonctions assignées aux femmes, comme la maternité. C’est en ce sens que l’approche de ce problème est nécessairement genré, car les rôles sociaux qui imposent aux femmes de se marier et d’avoir des enfants, donc de déterminer leur identité en fonction du mari qu’elles épousent et du fait d’enfanter, expliquent que le rejet de ce modèle prenne la forme d’un rejet des formes féminines et d’une volonté de maigrir qui permet d’échapper à ce destin formaté.
La volonté du sujet d’être autonome passe volontiers par l’expression corporelle chez les femmes dont les rôles et le statut dépendent très étroitement de l’apparence corporelle et de l’âge. (Smolak et Marnen, 2004).  À ce sujet, l’anorexie illustre l’échec du sujet à trouver une forme d’expression de soi allant au-delà du pouvoir corporel. Dans son obsession de la maigreur, la personne reste rivée à son corps, comme si elle ne parvenait pas à s’extraire d’un modèle qui assimile les femmes à la matière et au corps et les hommes à la volonté et à l’esprit. Nous reparlerons de ce dualisme âme/corps qui peut expliquer aussi le dégoût de la nourriture.
La maigreur peut également être considérée comme l’expression d’une difficulté à faire entendre sa voix, à trouver la voie d’une affirmation de soi dans la société quand on se sent appartenir à deux mondes ou quand on est soumis aux injonctions d’autrui ou aux normes sociales et, qu’en même temps, on cherche à exister et à trouver des formes d’affirmation de soi qui sont originales et tranchent avec le destin corporel des femmes. Cette idée qui suppose que l’on cesse de réduire l’anorexie à la volonté obsessionnelle de maigrir pour ressembler aux mannequins est développé par Fazman et Lee (Fazman et Lee, 1997: 385-94). Elles analysent ce phénomène dans les sociétés où le canon de la minceur n’existe pas, mais où, en raison de l’exil ou de l’appartenance du sujet à deux cultures, la personne, confrontée par ailleurs à la disparition des rites ou des idiomes culturels qui confèrent du sens à sa détresse personnelle dans un contexte marqué par le règne de la compétitivité, ne parvient pas bien à s’affirmer et à “négocier la déconnexion qu’elle endure.”
On retrouve ce refus des normes sociales et des fonctions classiquement dévolues aux femmes chez Catherine de Sienne qui meurt de cachexie en 1380. ( Raimbault, Eliacheff, 1980). Elle se révolte contre la stratégie matrimoniale bourgeoise de la famille de marchands à laquelle elle appartenait. Née chétive, nourrie alors que sa sœur jumelle Giovanna fut mise en nourrice et décéda peu après et sevrée juste avant la naissance de son autre sœur Nanna, qui devint, comme son prénom le suggère, l’enfant remplaçant la jumelle morte, “Catherine se trouve dès sa première enfance dans une position de quasi-morte” (Maître, 2000). Toute sa vie, elle oscillera entre la vie et la mort. Elle décide dès l’âge de douze ans de ne pas se marier et tente, quelques années plus tard, d’échapper à la vie conjugale que sa mère veut lui imposer. Elle altère sa féminité en refusant de se soigner après avoir contracté la variole et en s’abstenant de tout mets cuit, à l’exception du pain, jusqu’à perdre la moitié de son poids.
Les privations qui conduiront Catherine de Sienne à la mort sont clairement associées à des crises dans ses relations familiales et avec “la revendication de sa conquête absolue d’elle-même,” comme on le voit dans sa lettre-testament à Raymond de Capoue où elle raconte que son âme s’est séparée de son corps et que celui-ci respire. Dans ce texte, les métaphores alimentaires abondent, en particulier quand il est question du rapport à Dieu qui est un corps-à-corps, dont le prototype est l’allaitement. Comme l’artiste de la faim de Kafka, l’anorexique recherche la privation de nourriture qui devient le moyen d’affirmer son besoin de pureté et d’abnégation, mais qui s’explique aussi par le désir d’autre nourritures: “Je n’ai pas pu trouver d’aliment qui me plaise. Si j’en avais trouvé un, crois-moi, je n’aurais pas fait tant de façons et je me serais repu comme toi et les autres”  (Kafka, 1990 : 202) dit l’artiste de la faim à l’inspecteur avant que ce dernier ne mette à sa place une jeune panthère pouvant attirer plus de spectateurs.

4. Le dualisme âme-corps et le rejet du processus métabolique à l’œuvre dans l’alimentation

Cette réponse de l’artiste de la faim peut être interprétée comme la marque de son mépris pour les nourritures terrestres et comme le témoignage de son rejet du corps. La domination exercée de l’extérieur sur son corps reflète un cadre de pensée dualiste, comme en témoigne le texte rédigé par une patiente :

Mon cerveau, qui devrait décoder et exprimer (par la faim et la soif) les signaux émis par mon corps a inversé le processus. Il décide autoritairement ce dont mon corps a besoin, sans le consulter. Comme s’il n’en faisait pas partie. Cette dictature qui lui donne l’illusion de contrôler ce corps, alors qu’il est pris à son propre piège (…) L’idéal, pour moi, serait d’être un esprit, sans enveloppe charnelle. Je me sens prisonnière de ce corps, alors que ma prison est uniquement ma façon de penser. Tout en sachant cela, je reste divisée (…) Mon cerveau paraît invincible pendant que mon corps se fragilise. (…) Dès que mon corps se remplit d’aliments, (...), mon cerveau aussitôt le culpabilise et l’insulte.» L’esprit est séparé du corps et doit lui commander.  (Lalau, 2012: 229)

Ce dualisme qui fait de l’esprit un tyran et du corps un morceau de matière encombrant explique aussi que la nourriture soit l’objet d’un tel refus (Bordo, 1993).  La combustion, synonyme de vie, fait place à l’autodestruction à petit feu. Car la nourriture est le paradigme de ce qu’il y a de substantiel dans le corps. Les aliments se mélangent à l’organisme et cela est répugnant pour la patiente qui voit son corps idéalement comme un tube immaculé. L’anorexique ne peut assimiler psychiquement ce qu’est la nourriture qu’en dépassant le dualisme corps/esprit, intérieur/extérieur, sens/cerveau.
L’image idéalisée d’un corps évanescent qui est celui des anorexiques et leur hantise d’accumuler la nourriture, c’est-à-dire pour elles la graisse, vont de pair avec le refus des changements et du processus dynamique qu’implique le métabolisme lié à la transformation des aliments en énergie. La focalisation sur la nourriture comme ennemie vient de ce rejet d’un corps avec des fluides, d’un corps substantiel, qui représente, pour elles, tout ce qui est sale, mou, honteux. Le corps doit obéir à l’esprit, qui est le lieu de l’identité. Ce dualisme n’est pas responsable de l’anorexie. Cependant, ces schémas de pensée qui conditionnent également des représentations figées de l’alimentation confortent l’anorexique dans ses représentations et alimentent son ambition. Celle-ci consiste à faire disparaître le corps pour exister et affirmer sa rébellion contre l’injonction des autres, en particulier de la mère, en soumettant son corps que cette mère avait elle-même soumis ou rivé aux seules fonctions assurant la survie. L’anorexie est un cri à un appel originaire qui n’a pas été entendu.
Une autre manière d’interpréter la phrase de l’artiste de la faim qui dit n’avoir pas trouvé de nourritures lui plaisant, consiste à mettre l’accent non sur ses privations et sur la volonté de maîtrise et de rébellion qu’elles expriment, mais sur les aspirations secrètes qu’elles dissimulent. Il s’agit ici d’insister de nouveau sur le fait que l’anorexie est un style, associé à une esthétique et à des jugements de valeur qui sont eux-mêmes liés à des représentations : ce qui est mou, gras, flasque manifeste une absence de contrôle, une vulgarité, une bassesse auxquels l’artiste de la faim oppose un idéal élevé, fait d’ascétisme et de pureté. La recherche des nourritures pouvant combler l’éthos de l’anorexique, en particulier sa faim de beau et d’élévation et son désir d’originalité, peut être une piste constructive permettant de l’accompagner. À côté de cette réponse consistant à chercher des nourritures pouvant plaire à l’artiste de la faim, il est impératif de poursuivre la déconstruction des représentations erronées qui lui font associer les aliments à des ennemis. Celles-ci peuvent être corrigées par un savoir qui procure une meilleure connaissance des aliments et leur redonne aussi du goût, conformément à l’étymologie du mot sapientia qui associe savoir et saveur.

Ces deux volets, déconstructif et constructif, de l’approche phénoménologique, joints au travail des psychiatres et à celui du nutritionniste, peuvent lui permettre de réapprendre à manger, c’est-à-dire à ne pas avoir peur de l’altérité des nourritures qui sont bonnes pour nous et que nous partageons avec les autres. L’idée est de redonner à l’anorexique les moyens d’affirmer son identité sans mettre sa vie en péril mais sans non plus lui demander d’être comme tout le monde en atteignant un poids normal qui est toujours trop élevé pour elle, parce qu’elle ne voit pas la même chose que nous dans son miroir.
 

5. Phénoménologie de la non-constitution et féminisme

Les dualismes âme/corps, intérieur/extérieur, raison/affects, homme/femme ne sont pas la cause de l’anorexie, mais ils expliquent quand-même la difficulté qu’éprouvent les personnes souffrant de ce trouble à avoir un rapport pacifié à l’alimentation. Bien plus, la “dictature” que l’anorexique fait subir à son corps illustre la prégnance non seulement du schéma dualiste, mais aussi du paradigme de la domination si souvent dénoncé par les féministes qui se sont intéressées au rapport de l’humain à la nature et au corps et même aux animaux (Plumwood, 1991; Adams et Donovan, 1995). Au contraire, le chemin vers un rapport plus harmonieux à son corps et aux autres passe par une réflexion sur la corporéité du sujet.
Cette expression ne désigne pas seulement le fait d’avoir un corps et d’être mortel, mais il s’agit de contester le privilège qu’on accorde à la conscience de prêter le sens à toute chose, comme dit Levinas dans Totalité et Infini. (Levinas, 1994 : 136). Une telle phénoménologie est une phénoménologie de la non-constitution qui s’attache à décrire les phénomènes échappant à mon intentionnaité ; elle va de pair avec la réhabilitation du sentir considéré dans sa dimension pathique, c’est-à-dire comme l’expression de l’interaction entre moi et le monde (Maldiney, 2012: 188-90 ) et même comme mon être-avec-le-monde-et-avec-les-autres (Pelluchon, 2015). Dans une telle philosophie, l’alimentation est érigée au rang de paradigme parce qu’elle récuse tous les dualismes cités plus haut et prend au sérieux l’existence dans sa matérialité.
La vulnérabilité, la mortalité et la naissance ne sont plus interprétées comme des limites à notre pouvoir, comme c’est le cas des philosophies de la liberté qui affirment le caractère originaire de la déréliction et sont des philosophies de l’être-à-la-mort (Pelluchon, 2015: 37-52; 64-78). En effet, pour Heidegger, dans Être et Temps, seule la " résolution devançante" et la décision de donner existence à ce qui est important pour moi peut m’arracher à la déchéance dans le “On” et à la facticité. Au contraire, à partir du moment où je reconnais que je ne suis jamais totalement indépendant, mais où l’intersubjectivité est installée au cœur du sujet, comme on le voit avec la naissance, on est amené à adopter une conception plus relationnelle du sujet. Bien plus, ce dont je vis ne m’asservit pas, mais nourrit mon existence, au sens où le fait de vivre est originairement associé au plaisir (Pelluchon, 2015: 42-43). Autrement dit, l’altérité des nourritures n’est pas menaçante et nos besoins ne sont pas d’abord à concevoir de manière privative, comme si nous devions remplir un vide, mais ils renvoient à la jouissance qui, écrit Levinas, “fait éclater la structure élémentale des choses” et souligne mon immersion sensible dans le monde. (Levinas, 1994 : 141).
Cette dimension est manifeste dans le plaisir éprouvé en mangeant, pour autant que l’on n’a pas souffert de privations extrêmes et que l’on n’est pas atteint de troubles alimentaires. Car les personnes anorexiques passent totalement à côté de cette dimension de plaisir qui ne renvoie pas seulement à l’hédonisme, mais décrit une structure de l’existence, un existential, qui souligne, comme dans toute philosophie du goût, la profondeur du lien entre moi et le monde, le corps et l’esprit, l’intérieur et l’extérieur, l’intime et le social. On retrouve cette crise du goût dans la tendance à réduire l’alimentation à une prise alimentaire, comme lorsque nous ne prenons pas le temps de manger ou grignotons. Le manque de respect envers soi-même, la prégnance du schéma de la domination de l’esprit sur le corps et la matière, et de l’homme sur la femme, perdure jusque dans les habitudes alimentaires, comme l’attestent tous les désordres alimentaires, qu’il s’agisse des troubles comme l’anorexie ou la boulimie, de l’obésité, mais aussi de la surconsommation de viande qui impose aux animaux d’élevage des souffrances inouïes.
 


6. Conclusion

Le dépassement des dualismes âme/corps, nature/culture, homme/femme et la prise au sérieux de la corporéité du sujet font partie des contributions essentielles du féminisme à la pensée. C’est ainsi qu’elles ont profondément renouvelé l’ontologie et la théorie politique et qu’elles peuvent éclairer sous un jour nouveau des phénomènes qui expriment le rapport d’une personne au monde et aux autres, comme c’est le cas de l’anorexie et, de manière générale, des comportements alimentaires. C’est également pour cette raison que les théories féministes sont consonantes avec l’approche de certains phénoménologues français qui tentent, à la suite de Levinas ou de Maldiney, de substituer à l’ontologie du souci de Heidegger une compréhension plus incarnée de l’être-là qui est toujours un être-avec-les-choses-et-avec-les-autres (Pelluchon, 2015).

Pour appréhender l’anorexie et aider la personne souffrant de ce trouble à s’affirmer autrement qu’en se privant, il importe de ne pas se focaliser sur les symptômes dont elle souffre, mais de partir de sa manière d’exister, de se rapporter à son corps, au monde et aux autres. Il s’agit aussi de situer cette expression d’une oralité douloureuse dans un contexte social pris dans un réseau de significations qui expliquent que certaines personnes, notamment les femmes, ne parviennent pas à exprimer leur autonomie autrement qu’en s’identifiant à leur corps et, lorsque leur identité est blessée, en le maltraitant. L’objectif est de les amener à construire une relation pacifiée avec elles-mêmes et avec la nourriture qui illustre la manière dont l’extérieur devient intérieur et me constitue. Aussi, pour appréhender ce drame de l’autonomie qui s’opère sur fond de dualisme âme/corps, il peut être utile de croiser l’approche féministe et la phénoménologie.
 
 


Bibliographie

Adams, Carol J., et Josephine Donovan éds. 1995. Animals and Women: Feminist Theoretical Explorations. Durham and London: Duke University Press.
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Bordo, Susan. 1993. Unbearable Weight: Feminism, Western Culture, and the Body.  Berkeley: University of California Press.
Brusset, Bernard. 2008. Psychopathologie de l’anorexie mentale. Paris: Dunod.
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 Essais.
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Maldiney, Henri. 2012. Regard, parole, espace. Paris: Le Cerf.
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Pelluchon, Corine. 2015. Les nourritures. Philosophie du corps politique. Paris: Le Seuil.
Plumwood, Val. 1991. “Nature, Self and Gender: Feminism, Environmental Philosophy,  and the Critique of Rationalism.” Ecological Feminism 6 (1): 13-27.
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Smolak, Linda, et Sarah Marnen. 2004. “A Feminist Approach to Eating Disorders.” In Handbook of Eating Disorders and Obesity, éd. J. K. Thompson, 590-605. Hoboken, NJ: John Wiley & Sons.